63 - Le Dôme

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Mes effets personnels sont empilés exactement comme je les ai laissés la semaine dernière. Sur le petit tas de vêtements trône mon étui à lentilles. La simulation avait l'insigne avantage de gommer les problèmes ophtalmologiques inhérents à ma condition d'albinos. Le retour à la vision dégradée et à la photophobie me rappelle cruellement la fin du rêve.

Je les glisse les fins ménisques sous mes paupières avec la force de l'habitude et ma vue devant le miroir redevient nette. Zilla avait un morceau de glace accroché dans sa salle de bain de fortune. Je ne prenais jamais la peine de me regarder dedans. Os avait tout le luxe de se moquer de son image, pas Ethan Della Verde. Ce dernier a la tête d'un adulte de neuf cycles, encore marqués des stigmates de l'adolescence. Mon corps trop maigre n'a jamais pris en masse dans la faible gravité martienne.

Les lentilles colorent mon iris strié de rouge d'un bleu uni et éclatant comme un saphir. Le genre de coquetterie qui importait davantage à mon entourage qu'à moi-même. À quoi bon singer ? Je sais bien qu'il n'y a rien de présentable chez moi entre ces mèches blanches comme neige et cet épiderme anormalement dépourvu de mélanine. Je n'ai jamais intérêt à m'exposer trop longtemps sous les rayons UV.

Je me rappelle des remarques étonnées de Fen au sujet de ma peau qui résistait miraculeusement au soleil cuisant. La vraie question serait plutôt : pourquoi l'algorithme était-il capable de simuler des coups de soleil chez tout le monde sauf moi ? D'après les bribes que j'ai captées des techniciens qui m'ont sorti de la salle de test, je n'ai jamais été correctement synchronisé avec la matrice. Ce qui explique ma dépersonnalisation initiale, ma faculté à pouvoir lire les données générées par l'algorithme ou encore cette expulsion inopinée lors du crash du serveur de l'Interstice. Crash dont on me rend directement responsable. La faute du Rugen-Hoën.

Ça me fait doucement rire. En plus de deux siècles, les chercheurs ne sont toujours pas parvenus à cerner cette mutation. Il faut dire que les sujets d'étude étaient rares, encore plus après les guerres qu'ils ont engendrées au XXIe siècle. Par conséquent, le Rugen-Hoën continue à être un bon bouc émissaire. Même si je comprends qu'après avoir causé la mort d'un des participants dans le réel, ma deuxième tare génétique suscite la méfiance.

Je retire l'informe tunique de papier qu'ils m'ont généreusement légué pour camoufler ma nudité et achève de m'habiller. Je passe ma tête dans mon tee-shirt, à l'effigie de mon groupe préféré, en délicat coton — du vrai, importé de Terre ! Je l'ai choisi la semaine dernière en songeant qu'il s'agirait de la dernière tenue que je porterai avant ma mort.

Et pourtant, je suis bien vivant. Mais pour combien de temps ? Je sais que la minuscule pièce dans laquelle ils m'ont enfermé est étanche — comme la majeure partie des constructions du Dôme — et qu'il leur serait facile de remplacer la ventilation indépendante par un gaz anesthésiant. Une piqûre de Steranox dans le bras et adieu Ethan. Cela aurait d'ailleurs dû se produire pendant mon sommeil, pendant la simulation — j'aurais préféré. Je n'aurais jamais dû en sortir. Un Alter avec un Rugen-Hoën ne peut pas être naturalisé et ne devrait même pas participer au TUNEL.

Je sais à qui je dois ce « privilège ».

Je pourrais trouver un moyen de me tirer de ce piège. Le maillage dont sont tapissées les faces de la pièce ne bloque pas assez les ondes. Cela suffit à arrêter n'importe quel autre Alter, pas un Rugen-Hoën. Mais à quoi bon vouloir s'enfuir ? Pour aller où ? Je ne ferais que retarder l'inévitable.

Je m'assieds donc sagement sur l'unique siège en polyamide de ce vestiaire, bien décidé à attendre stoïquement la mort.

Mon regard s'égare sur le paysage visible à travers le hublot. Sur ce flanc de la tour Paletra — le QG du service de régulation des Alters —, les jardins d'Aeolis marquent une limite végétale domptée entre le quartier Frochet et le carré Utopia. J'ai grandi dans ce ghetto chic réservé à l'élite du Dôme Six. Cette architecture familière ne m'a jamais semblé aussi étrangère. J'aperçois d'ici un pan de la place Tamir avec sa statue colossale d'Anton Della Verde, le fondateur des premières colonies martiennes.

Les Chasseurs de MiragesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant