37 - Second message divin

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Hector

Bouquets d'herbes boucanées pendues aux boiseries, farandole de flacons aux effluves frelatés, bizarres bibelots bricolés, folles fleurs fanées, et surtout, cette immense bibliothèque... Mon infirmerie revêt des airs de cabinet de curiosité, ou d'antre d'une sorcière. Où ai-je rangé mon chaudron magique ?

Mes trésors, mes précieux, toute une vie de vaine accumulation en quête de réponses à des questions inconnues. Garder le nez plongé dans mes antiquités ne m'aidera pas à trouver ce que je cherche. Je le comprends maintenant : je dois vivre, éprouver et expérimenter. J'ai beau ressasser cette pensée comme un mantra, cela ne décharge pas mon cœur de la douleur de délaisser cette incroyable collection. Même si Bonnie a juré de conserver mes ouvrages et Avril, promis qu'elle les emploierait pour instruire les enfants, je garde tenace cette impression de m'amputer d'une partie de moi-même.

C'est ainsi. Les majestueux chars à voile ont planté leurs racines à Dulaï Nor et n'en décolleront plus. Nous repartons par la route sud, en comité réduit et avec le convoi des Rafales. Ils possèdent les véhicules en meilleur état et les plus adaptés. Après avoir déménagé mon local dans ma petite cahute, me voilà donc contraint de déplacer mon capharnaüm dans la fourgonnette de Talinn, dont l'espace réduit m'oblige à ne conserver que le minimum vital.

Incapable de trancher, je fourre un — trop — grand nombre d'ouvrages dans mes bagages et entraîne le tout vers de nouveaux rivages. Je retrouve mon camarade ingénieur, affalé pensivement derrière la vitre crasseuse dans l'obscur habitacle de son van.

Je pose lourdement mon paquetage volumineux et m'enquiers de son avis pour faire le tri.

— Je n'arrive pas à me décider entre le précis de chirurgie cardiaque et l'encyclopédie des maladies tropicales. Qu'en penses-tu ?

Talinn m'ignore et se contente de soupirer tel un amant transi. À travers la vitre, la silhouette d'Eden se chamaille avec Paril.

J'ai beau m'entendre avec ma grande famille d'oiseaux charognards, je me tiens à distance des histoires d'amours et autres aventures qui font passer les Vaudevilles pour bien fades. Talinn, en revanche, y a sauté à pieds joints. Je ne tiens pas à lui demander la raison de son marasme, car je la soupçonne, mais la question jaillit malgré tout. Je ne peux guère ignorer la peine d'un ami.

— Que se passe-t-il ?

— Ils ne veulent pas venir.

Ils ? Je savais que Talinn s'est acoquiné d'Eden, elle-même pourtant déjà plus ou moins acoquinée avec Paril, alors quid de Talinn et Paril ? Je ne comprends plus rien de ce qu'il se passe au sein de ce trio et ne suis pas sûr d'avoir envie de creuser. Aussi, je me contente de répondre :

— Dans ce cas, que fais-tu enfermé ici ?

Il se tourne vers moi et me dévisage sans comprendre.

— On part demain matin à l'aube, complété-je. Tu ne vas quand même pas passer ta dernière soirée à ruminer alors que tu pourrais la passer avec eux !

L'ingénieur fronce ses sourcils drus, au point d'atteindre le bord de ses petites lunettes. Il s'écoule de longues secondes avant que son esprit rationnel détermine qu'il s'agit de la solution la plus logique. Monté sur ressort, il se redresse et court rejoindre le couple au-dehors.

Je me retrouve seul, avec l'obscurité et mon barda. Bien, et comment vais-je trier mes affaires, moi, maintenant ?

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Delvin

Avachie à l'arrière du pick-up que Rana conduit, je regarde péniblement les contours de nos huttes et de l'historique char à voile s'éloigner. Les mains des colons qui s'agitaient pour saluer notre départ s'abaissent petit à petit ou se font de plus en plus floues. Mon cœur se contracte. Une part de moi voudrait crier à Rana : « Stop ! Arrête-toi ! Laisse-moi descendre ! »

Les Chasseurs de MiragesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant