46 - Orgö

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Hector

Je suis Tengri, mon guide improvisé, à travers les dédales de la ville bigarrée. Le jeune garçon, débusqué dans le karst, rêvait de s'émanciper de sa secte religieuse pour vivre les extraordinaires aventures de la vie des nomades. Alors, quand on a fait savoir que l'on recherchait des volontaires pour nous escorter jusqu'à Orgö et plus loin encore, le gosse au teint hâlé et au sourire édenté a sauté sur l'occasion. Nous ne lui avons pas narré l'envers du décor : les trajets éreintants, le confort spartiate et la crainte d'errer au milieu du néant du désert à court de vivres, d'eau et d'essence.

Je ne suis néanmoins pas certain que cela entacherait son enthousiasme. Ce sont des épreuves qu'il faut vivre afin d'être convaincu de leur pénibilité. Et encore... N'avons-nous pas nous-mêmes signé pour un nouveau tour ?

— C'est ici, Doc ! Juré, tu trouves tout c'que tu veux !

L'optimisme de Tengri est contagieux alors qu'il étire ses bras sur la devanture en ruine d'un hôpital à l'abandon. La silhouette toute en longueur de mon guide escalade les gravats en se mouvant comme un élastique. Il se fraye un chemin jusqu'à ce qui devait être une baie vitrée et fait désormais office d'accès principal au bâtiment.

— Tu vois, Doc, les gens d'ici, ils utilisent pas les trucs des Anciens. Après tout, s'ils sont pu là aujourd'hui, c'est bien parce qu'ils se sont foirés quelque part. Ils disent que c'est bon pour les hérétiques toutes ces vieilleries. Mais moi, j'm'en fiche, hein ! Moi, j'te juge pas, Doc ! Alors, sers-toi, prends ce que tu veux, ça manquera à personne, tu vois...

Tengri a cette capacité formidable de parler sans discontinuer. Je ne l'écoute plus, trop concentré sur la voie parsemée d'obstacles. Mon guide poursuit jusqu'à une cage d'escalier si endommagée que les gravats ont remplacé les marches. À la lueur de nos frontales, nous parvenons à nous frayer un chemin vers un local technique. Du moins, j'imagine que ce devait être un local avant que le temps et l'usure n'aient raison du mur d'enceinte. À l'intérieur, il débusque un disjoncteur dont il actionne les interrupteurs.

Les lumières se rallument dans la seconde. J'ai cru que l'éclairage rendrait le lieu désuet plus accueillant. Ce n'est pas le cas. Les néons blanchâtres clignotent dans une fanfare de sinistres stridulations. Tengri écarte les bras, gesticule et mouline pour m'indiquer, avec ses mots à lui, les différentes ailes et points d'intérêt de l'hôpital. Puis, jugeant sa mission terminée, il m'abandonne.

— Dis, Doc, ça te gêne pas si je te laisse te débrouiller ? C'est qu'il y a cette petite du Zuchi qui me fait les yeux doux depuis un moment, tu vois... Et j'me dis que c'est l'occasion ou jamais de jouer de ma nouvelle étiquette de pourfendeur de Kaâl, tu vois ?

Il n'a pas besoin de me faire trente-six clins d'œil pour que je comprenne. Je soupire et accorde au jeune ma bénédiction. Comme s'il lui fallait mon autorisation pour batifoler. Au glapissement de réjouissance qu'il lâche, je m'interroge, encore une fois, sur cet étrange besoin primaire de mes congénères envers les plaisirs de la chair. Je n'ai jamais éprouvé d'appétence pour ces sujets-là. Le savoir est ma stimulation et la poésie mon ivraie.

C'est donc en solitaire que je déambule à travers les couloirs dévastés et les vestiges des salles désaffectées. Loin de me déplaire, j'espère profiter de cette excursion pour fouiner en quête de bien plus qu'une attelle pour Lindberg. Cet imbécile a réussi à se faire une entorse en trébuchant et je peux m'estimer heureux qu'il n'y ait pas de blessés plus graves.

Je me sens épris d'une incompressible nostalgie dans ces instants d'errance. Je me surprends à regretter une époque que je n'ai pas connue, imaginant sous la couche de poussière l'état de ces locaux dans leur prime jeunesse. Est-ce que les infirmières revêtaient des dessous affriolants à l'image des films d'archives ? Est-ce que les docteurs disposaient vraiment d'une batterie de scanners ultra-perfectionnés pour visualiser en direct l'intérieur du corps humain ? Est-ce que les internes couchaient tous entre eux ?

Les Chasseurs de MiragesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant