40 - Le temple souterrain

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Delvin

Progresser aux heures les plus sombres de la nuit n'est jamais une partie de plaisir. Marika avait l'habitude de dire que j'ai des yeux de chat. Je n'ai hélas pas hérité de leur nyctalopie. Néanmoins, grâce aux indications précises d'Os — ça m'écorche de l'admettre — nous trouvons un accès aisé pour escalader la falaise. Ces remparts naturels présentent l'insigne avantage d'être bourrés de failles. Les éoliennes, bâties au sommet de ce relief, tapissent la nuit de leur vacarme et couvrent notre approche.

Je grimpe en première, Rémy et Élis sur mes talons, Cléa ferme la marche. Je me sens confiante après ces trois séances d'entraînement éprouvées avec Zilla. J'en ai plus appris en quelques heures qu'en des mois de pratique solitaire. Cela faisait longtemps que je ne m'étais pas significativement améliorée. Je n'ai qu'une hâte : pouvoir le rétamer avec ses propres techniques.

Je n'irai pas jusqu'à dire que ça se passe bien. Lors de la dernière séance, il a tenté de corriger ma posture et a frôlé ma poitrine sans délicatesse. Je me suis écartée d'un bond, non sans lui lancer mon habituel regard véhément — le seul qu'il mérite. J'étais si offusquée qu'il me touche à un endroit où personne, hormis Marika, n'avait jamais posé la main. Il a levé un sourcil, d'abord surpris, avant de comprendre et d'éclater de rire.

— Tu es au courant que les femmes ne m'intéressent pas ?

Son ton moqueur m'a tant insupporté que j'ai tourné les talons, achevant prématurément à cette session. Alors qu'il m'aurait été si simple de croiser les bras et de rétorquer sur le même ton : « Et moi, je ne suis pas intéressée par les hommes, donc garde tes mains baladeuses à distance, espèce de dégueulasse ! »

Mais rien n'est venu.

Peut-être parce que son toucher ne m'a pas laissé aussi insensible qu'il aurait dû ; que cette lueur verdoyante et malicieuse dans ses yeux a scellé ma bouche. Et je me hais pour cela autant que je le hais.

Mue par cette rage, j'abats mon premier coup de lame en travers de la gorge d'un garde. Il n'a rien vu venir. Je ne discerne aucun grabuge en face, alors j'ose espérer que l'aile de Wolf officie avec la même discrétion. Nous progressons le long du chemin de ronde et mon cimeterre s'abreuve à chaque nouvelle rencontre. Mes trois accompagnants sont condamnés à la figuration. Quant à moi, je sens mon maelström d'émotions s'apaiser à mesure que je le déchaîne contre ces hommes.

o

Rana

Je ne l'ai pas vu arriver sur la droite. C'est le fumet pestilentiel d'alcool dans sa traînée qui m'a alertée. Je n'ai pas le temps de réagir avant que son couteau n'entaille mon abdomen. Juste une égratignure ; ça passe. Je serre les dents, attrape son épaule et l'envoie valdinguer contre le mur. Un vulgaire ballot de paille ! Son crâne s'écrase contre le grès. J'avais même pas besoin de le planter : le choc l'avait déjà assommé. Mais bon. On n'est jamais trop prudent.

— Ça va Rana ?

Derrière moi, Donovan s'inquiète pour les trois gouttes de sang qui coulent de mon torse. Je réplique d'un grognement qu'il interprétera comme un « oui » ; ou pas, peu m'importe. Je passe une main sur mon front et tire mes paupières comme si ça pouvait aider à les décoller. Y'a pas à dire, j'ai pas les yeux en face des trous. Cette trop courte nuit ne m'a été d'aucun repos. J'essaye de me concentrer sur l'instant présent, mais forcément, dans ce tunnel trop sombre, c'est l'image de Fen qui s'écrase fatalement sur ma rétine.

Bordel. Qu'est-ce qui ne va pas chez moi ? Qu'est-ce qui m'a pris de le retenir ? De passer la nuit avec lui ? De... Merde, je ne veux pas y penser, mais j'y pense quand même.

Les Chasseurs de MiragesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant