56 - La cité des fantômes

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Talinn

Tout rêveur qu'il était, Hector disait ne pas vouloir d'enterrement. Il refusait que son cadavre nourrisse les vers, bien qu'il comprenne la contribution de ces créatures au biotope. Il voulait sentir les derniers vestiges de sa vie terrestre danser avec le vent et parsemer la nature.

De nature, nous n'avons trouvé que les restes d'une forêt éteinte. Alors ses cendres virevoltent entre les troncs calcinés avant de retomber sur le sol desséché.

Os et Moelle m'ont accompagné. J'étais seul hier soir, après l'annonce de sa mort. Je me suis terré dans le petit van que nous avons partagé ces derniers mois. Le souvenir de sa présence m'étouffait plus sûrement que la douleur de son départ. Je ne pouvais me résoudre à éprouver de nouveau cette solitude en allant adresser mes adieux. Même si je n'espère trouver aucun réconfort en la présence d'un chien et d'un humain qui ne l'est pas tout à fait.

Je m'assieds en tailleur et déterre de ma sacoche l'épais carnet à la couverture matelassée de cuir. Hector y consignait tous les poèmes qui le touchaient. J'ai songé à le brûler avec son corps pour que son précieux bien puisse l'accompagner. Finalement, je trouve plus judicieux de lui en lire quelques bribes en guise d'au revoir.

Hélas, je ne connais rien à la magie des vers. Je suis incapable de décider de l'extrait le plus pertinent.

— Est-ce que tu sais lequel il préférait ?

Os s'installe à côté de moi et hausse les épaules.

— S'il a recopié un poème dans son carnet, c'est qu'il l'adorait.

Cela ne m'aide pas beaucoup. L'un de ces amas de mots finit pourtant par se détacher de la masse. J'ignore ce qu'il a de particulier, mais il fait écho à un sentiment que je n'interprète pas. Alors, je le lis à voix haute. Trop rapidement pour que cela sonne de manière mélodieuse. Je n'ai pas son talent pour déclamer.

Toi qui contemples les astres dans les miroirs,
N'as-tu jamais rêvé de quitter ce mouroir ?
Toi qui foules en spectre cette terre grêle,
Où entendras-tu chanter les nids d'hirondelles ?

La nuit s'abat sur le fou ivre de savoir
Le jour se lève sur ceux qui ne veulent voir
Dans les prés, par les mers, je penserai à toi
Amère fleur d'hiver, qui fane entre les doigts

Renonce à ta science, à tes obsessions
Et éprouve l'abandon avec passion
Dans la froideur d'une caverne ensevelie
Pars en paix, au jour éclôt ta nouvelle vie

Ma voix tremble sur la fin. Je referme le carnet d'un claquement sec.

— Te sens-tu mieux ?

— Non.

Ma gorge se resserre et laisse échapper ce mot dans un piètre sifflement. Je ne sais pas quoi faire. Toute la poésie du monde n'allégera pas cette douleur qui m'étreint la poitrine.

— Tu l'aimais, n'est-ce pas ?

Pourquoi pose-t-il la question ? Ne le sait-il pas déjà ? Cela dit, je ne sais pas y répondre moi-même. Si je l'aimais ? Bien sûr que je l'aimais ! Plus que n'importe quel autre être humain. Plus que n'importe lequel de mes camarades Rafales avec qui j'ai partagé des années de vie. Plus qu'Eden et son sourire pétillant. Mais de quel amour parle-t-on ? Je ne saurais le dire. Je crois que ça transcendait cette notion, bien au-delà d'une triviale attirance charnelle.

Des bras s'enroulent autour de ma poitrine douloureuse et une tête se niche contre le battant de mon cœur. Je n'ai jamais vu Os câliner quiconque. Je ne sais même pas s'il s'autorise ce genre d'affections avec Zilla. Alors je suis touché qu'il le fasse. Pour moi ? Pour lui ? Pour Hector ? Peu importe, je lui rends son étreinte. Ma main se pose sur le duvet de sa nuque et j'éclate en sanglots.

Les Chasseurs de MiragesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant