33 - La Terre Promise

29 5 2
                                    

Zilla

Je crois que je slalome plus que je ne marche entre les attroupements. Je dois en être à ma huitième, non, peut-être neuvième, chope d'alcool de genévrier ? Le soleil s'est couché depuis longtemps et j'ai arrêté de compter dès lors. J'ai félicité Wolf, qui ressemble davantage à un ours en peluche qu'à un sauvage grizzly sous le filtre de l'ivresse et de substances plus intrigantes. Les cueilleurs ont ramené des champignons de la forêt, assurant qu'ils nous en feraient voir de toutes les couleurs. Ils n'ont pas menti. Les lampions éclairent l'atmosphère dans un voile irisé d'orange, violet, vert et carmin. Ce nuancier danse et éclate en fascinantes spirales, illuminant, exacerbant la joie sur chaque figure et la propulsant dans mon être.

J'ai voulu filer une claque dans le dos de mon poteau Fen, taper la discussion à base de blagues grivoises, comme au bon vieux temps. Il m'a tiré une de ces moues gênées que j'ai interprétée façon : « tu es de trop là, mec ». Puis j'ai compris. Quand j'ai vu la montagne de muscles et de caractère stationnée à ses côtés, j'ai pigé. J'aurais pu me vexer ; ça m'a tiré un sourire en coin. En quinze ans, je n'ai jamais vu ce vieux rustre s'amouracher de qui que ce soit. Ok, c'est pas comme si on avait croulé sous les occasions avec les présences féminines épisodiques et contraintes dans notre bande, mais je n'aurais pas imaginé le bougre abaisser sa garde de la sorte.

Peut-être que cela devrait m'inquiéter. On parle quand même de Rana, qui a toutes les raisons du monde de lui en vouloir, et la capacité de lui broyer les couilles. Littéralement. Je devrais m'en inquiéter, mais je suis trop ivre et trop jouasse pour y songer. Alors je virevolte entre les rangs, trinque avec mes comparses. Je ne parviens pas me rattacher à un groupe pour autant. Ils ont chacun leurs accointances et leurs expériences partagées.

Ces derniers mois, j'ai surtout partagé les miennes avec Os. Et Os est introuvable. Volatil comme à son habitude. Étrangement, c'est avec ce mur que je ressens la connexion la plus approfondie. Alors que nous ne parlons pas, que nous ne partageons que nos corps ! Je ne comprends pas comment il m'a retourné la tête à ce point, ni pourquoi je préfère me réfugier avec lui au lieu de savourer une partie de poker avec mes amis de toujours. Parfois j'aimerais lui découper le crâne à la scie sauteuse pour en extirper les mystères ; ou simplement dans l'espoir que cela me soigne de cet envoûtement absurde.

De toute façon, je ne le trouve pas ce soir.

Je gobe une nouvelle rasade d'alcool, comme pour atténuer la soudaine descente d'euphorie que m'occasionne cet intarissable désir sexuel qui me ronge. J'ai surtout besoin d'air frais et de calme.

Je titube en direction du lac pour découvrir l'espace déjà envahi. Assise sur le ponton, Delvin balance mélancoliquement ses jambes par-dessus la surface obsidienne de l'eau. Elle juge le vide de l'obscurité avec une touchante sérénité. Cette vision douche l'excitation des champignons magiques. Ce qui n'est pas plus mal.

Je n'ai aucune raison de faire une chose pareille, mais je ne suis pas dans mon état normal. Et je me sens, en ce moment, bien plus attiré par sa fière solitude que par les exclamations ivres des soulards.

La présence de n'importe quel intrus venant troubler son recueillement l'aurait probablement irritée ; la mienne n'en est que plus acide.

— Si j'avais voulu de la compagnie, la tienne est la dernière que j'aurais sollicitée.

J'ignore son ton acerbe et délie ma nuque en arrière. Sous l'effet de l'hallucinogène, le ciel étoilé s'étire en cascades de galaxies aux histoires extraordinaires. Est-ce qu'il y a d'autres êtres là-haut ? La rougeoyante Mars luit d'un halo faible au cœur de ce spectacle étincelant. Je voudrais imaginer des survivants de l'apocalypse qui auraient fui vers d'autres planètes et regarderaient leur terre dévastée avec dédain.

Les Chasseurs de MiragesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant