44 - Orgö

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Wolf

Coincés dans le ventre de la bête. La baleine d'acier a englouti la moitié des nôtres, et sa compagne, l'autre moitié. Une fois l'écoutille scellée, nous avons tous béni Darek. Ses mains agiles ont bricolé une ouverture d'urgence par l'intérieur. Au cas où le chauffeur ne serait plus en capacité de nous libérer comme prévu...

Nécessaire attention alors qu'une noirceur sans pareille nous absorbe. Pas de visu sur les faces de mes camarades, mais je devine à leurs saccades soufflantes que la situation leur file les chocottes. Un gars comme Grimm — que son âme hurle avec les chevauchées ardentes — n'aurait jamais accepté de foutre les pieds dans un tel traquenard. Et je le comprends. Entre foncer vaillamment pour s'écraser sur leurs remparts et mourir asphyxié comme un con dans une citerne, le choix est vite fait.

Une fin pareille ferait rougir de honte le Saint Chromé.

Sauf que hors de question de mourir aujourd'hui. Pas tant que mon Soleil brûle encore ! Peur du combat ? C'est pas avec tout ce qu'on a déjà encaissé qu'on va trembler maintenant. Se battre, c'est notre nature. Et je la sens cette fougue qui nous soude, coude à coude dans le goulot de métal. Une hargne qui annihile toute peur. Mais ça, c'était avant. Avant que je n'aie quelque chose de précieux à perdre.

Les gars encaissent vaillamment chaque secousse. Sur cette route déglinguée et à peine rafistolée, c'est le passage obligé.

La carcasse de cétacé cesse son avancée. Frères en tension. Les derniers souffles se coupent quand des voix vibrent de l'extérieur. Ce qu'il se dit ? On ne l'entend pas. Tout ce qui compte, c'est ce soulagement qui nous traverse quand le camion se remet en branle. On a passé l'entrée !

On sent le pachyderme manœuvrer lentement et de tous les côtés, pour finir par s'arrêter au bout d'interminables minutes. Première étape accomplie. Reste le plus simple maintenant : sortir de cette prison d'acier et massacrer tous ceux qui oseront braver notre passage !

La trappe s'ouvre. La lumière assaille le ventre de la bête et brûle les yeux habitués au noir. Les membres de la troupe grimpent un par un une échelle de corde. Discrétion requise, mais impatience bouillonnante. J'escalade et quitte les entrailles de la baleine.

Le calme règne au-dehors. Cour tranquille, ombragée derrière un entrepôt. Une friche en guise de couverture. L'un des types du joli temple sous la pierre nous montre la voie vers l'intérieur du bâtiment. Tengri, qu'il s'appelle. Il connaît bien Orgö ; à défaut du minimum syndical qui consiste à tirer avec un flingue.

Je reste en veilleur à l'entrée pour m'assurer que l'ensemble des troupes suive. Pas question d'abandonner un camarade dans ce cylindre ventru !

C'est ce moment-là que choisit un type pour pointer son nez sur la passerelle. On l'a entendu arriver avant qu'il nous voie puisqu'il a interpellé Idris, l'un des chauffeurs, pour savoir « ce qu'il branle avec son camion ». Visiblement, ce n'est pas à cet emplacement qu'il aurait dû se garer.

Je braque mon fusil sur le type, mais j'hésite à appuyer. Un, ce ne serait pas discret avec le tintamarre de la détonation. Deux, mon arme n'a pas une longue portée, je risque de le rater. Trois, Selmek s'en est déjà chargée. Une flèche en plein milieu de la poitrine ! Trop fortiche, cette nana – 'fin, j'sais pas, j'lui ai toujours pas demandé, alors on va supposer que.

Maintenant qu'un cadavre traîne dans le coin, il s'agit qu'on ne traîne pas de notre côté. Les troupes se mettent en rang d'oignon et on s'engouffre dans un tunnel longé de rails.

o

Talinn

Combattre, toujours combattre... Ce pan de ma vie d'itinérance ne me manquait pas. On n'a rien sans rien. J'ai choisi de remettre les pieds dans le cambouis, et dans le sang.

Les Chasseurs de MiragesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant