45 - Orgö

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Une fois la main mise sur Ogarkäa l'Affranchi, la suite s'enchaîne sans surprises. Le meneur des insurgés s'était muré dans ses quartiers, entouré de ses concubines. Quel besoin les hommes ont-ils de systématiquement associer le sexe au pouvoir ? Comme s'ils essayaient de combler leurs insécurités par ces deux leviers.

Bien entendu, Ogarkäa a tenté de nous faire croire qu'il désirait négocier, alors qu'il n'attendait que de nous voir baisser nos armes pour dégainer ses fidèles de leur embuscade. Je n'ai même pas eu besoin d'avertir Zilla. Il en a vu d'autres. Il l'a abattu sans ciller pendant que Delvin et Donovan débusquaient les derniers bastions de résistance.

Puis Zilla a brandi la tête tranchée de l'Affranchi au balcon et la paix a repris son cours à Orgö sans que je n'aie besoin de m'en mêler.

Yue et les quelques habitants du karst qui nous ont accompagnés étaient soulagés. Dorjnam se voit d'ici tenir les rênes du pouvoir, troquant un dictateur contre un autre dictateur. Avec la bonne orientation religieuse, cette fois. Le peuple libéré s'acharne sur les scellés apposés au chörten dédié à Kana et prépare déjà les célébrations à la gloire de la mansuétude de la déesse.

C'est à la grâce éthérée de l'être aussi magnanime qu'imaginaire que reviendront tous les remerciements. Nous, les étrangers, ne récolterons que des regards méfiants.

Mais Zilla s'en fiche pas mal. Nos rangs ne déplorent que trois blessés, dont Lindberg qui s'est contusionné la cheville en trébuchant sur les rails et tente de faire passer cela pour la conséquence d'un duel épique contre un ennemi. Nous avons eu une chance insolente au cours de ces deux derniers assauts. Zilla se persuade que c'est grâce à mes conseils. Je me demande s'il faut y voir notre destin commun placé sur la bonne étoile de Dieu. Même si j'aurais tendance à croire que le véritable Dieu se moque pas mal de nos vies et de nos morts ; tant que nous nous rendons là où il nous envoie.

Pour l'heure, le fier leader de nos troupes savoure ses succès militaires dans le luxe du palais investi, laissé libre pendant que les locaux célèbrent leur divinité fictive. Le lieu a ses propres bains thermaux — un caprice de la culture régionale — et Zilla a joué de ses privilèges pour en privatiser une partie, ne tolérant qu'une seule personne pour l'y rejoindre. Moi.

Située au dernier étage, la pièce s'ouvre sur l'extérieur, déclinant, derrière les arches et la terrasse, la ville baignée dans l'obscurité. Seuls quelques lampions et mon sixième sens me permettent de déceler les effervescences des célébrations religieuses à travers les rues.

Zilla est bien loin de ces considérations. De sa nuque relâchée, ses cheveux noués en une tresse grossière ondulent sur le carrelage endommagé. De son corps plongé dans l'eau fumante, je ne discerne plus que ses clavicules et ses bras accrochés au rebord, finement musclés, mais zébrés de cicatrices. Je sais qu'il a passé un certain temps à se frotter pour se débarrasser des nombreuses traces de sang incrustées. C'est un rituel auquel il est si habitué qu'il le laisse complètement indifférent. Au contraire des bains chauds.

Il ouvre un œil en m'entendant arriver. Une émeraude envoûtante. Je n'éprouve généralement aucune appétence pour les plaisirs de la détente. Pourtant, je crois déceler en moi l'envie de m'engouffrer aussi dans ce fumet réconfortant. Je laisse tomber la serviette de mes hanches et me glisse dans le bain. Au changement de température, je me surprends à ressentir un frémissement sur ma peau, un sentiment de bien-être.

À Dulaï Nor, je ne vivais des moments en solitaire que pour mieux explorer l'extérieur ; aujourd'hui, je me rends compte que je ne me suis pas assez penché sur l'exploration de mon intérieur. Je profite donc de ce moment privilégié à l'écoute de mes sensations. Même si la proximité de Zilla me parasite. Mon amant a beau demeurer admirablement silencieux, il ne peut s'empêcher de me regarder, ou plutôt de mesurer la distance qui nous sépare. Ça l'exaspère. Il préférerait que je me rapproche de lui, mais il ne bougera pas et il ne le demandera pas.

Les Chasseurs de MiragesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant