71 - Le Dôme

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J'ai les fesses sur un banc qui n'est rien d'autre qu'un maintien de gaine recyclé. Il n'y a pas grand monde dans cette petite chapelle cachée dans les galeries de Saint Clair. La religion n'est pas interdite, mais si stigmatisée que la plupart des cultes sont clandestins.

J'essaye de prier devant l'effigie d'un dieu ancien représenté par un bonhomme cloué sur une croix. Ma mère nous a toujours tenus à l'écart de la religion, considérant qu'il s'agissait d'une tare allouée aux pauvres qui ont besoin de se réconforter dans ce genre d'espoirs factices. Dans le TUNEL, j'ai pourtant compris ce qu'était la foi. Cette intense connexion spirituelle qui guide et encourage à ne pas laisser tomber en chemin. J'aimerais pouvoir la retrouver à présent que j'en grandement besoin. Hélas, ce dieu crucifié ne m'inspire aucune émotion.

C'est mieux ainsi. Me voilà obligé de prendre en main les rênes de mon destin. Dieu m'a servi de prétexte des mois durant pour accepter d'être balloté tel un pantin vers des desseins qui n'étaient pas les miens. À présent que le voile des mensonges se déchire, que je découvre n'avoir été qu'un sujet d'expérience, puis un outil convenable pour les désirs égoïstes d'hommes tels que Vauclair ou pour servir les ambitions de mon père, je ne souhaite plus être un pantin.

J'oublie la prière et répands plutôt mon esprit dans le labyrinthe d'artères de Saint Clair. Une fois que j'ai trouvé ce que je cherchais, je me lève et quitte la chapelle. Je réajuste soigneusement ma capuche et mon masque filtrant avant de sortir. Le masque, c'est parce que l'air n'est pas assez pur dans ce trou à rats ; la capuche, c'est parce que mes mèches trop blanches me feraient repérer auprès des drones de surveillance.

Puisque je suis parti sans laisser de traces, il n'est pas improbable que l'on me recherche bientôt.

Saint Clair est l'un des quartiers les plus malfamés du Dôme Six. Mine à ciel ouverte, qui s'enfonce dans les entrailles de Mars, ses artères circulent en pente douce autour du gouffre. Sur la paroi creusée, les maisons troglodytes surveillent les passages à travers leurs orbites sombres. Je n'ai mis les pieds qu'une seule fois dans cette zone ; et c'était bien protégé derrière le cordon de sécurité du cortège gouvernemental en visite électorale.

Désormais sans protection, il suffit d'une seconde d'inattention ou de malchance pour finir dans un coupe-gorge. Qu'est-ce que je fais ici ?

Tout comme je n'ai réfléchi qu'une seconde en décidant d'embarquer pour la Ceinture avec de dangereux criminels du LISS, je n'ai pas réfléchi longtemps pour fuguer du manoir et me soustraire aux destins que me réservent Vauclair ou mon père.

J'ignore pourquoi je ressens ce besoin intense de m'émanciper de ce carcan. S'agit-il d'une réaction de colère à vif face à la mise à nue des mensonges de mon père ? Ou bien d'un besoin plus primaire, quasi vital, de comprendre ce qui est arrivé à Larry et ses camarades, et ce que faisaient leurs esprits modélisés dans le TUNEL ? Pour cela, je dois comprendre ce qui se trame à Lan Klau.

Mes recherches ont vite fait chou blanc.

On parle d'une mise en suspension des condamnés. Ils passent le temps de leur peine en stase et se réveillent comme s'ils avaient dormi d'une nuit sans rêve. Aucun des anciens prisonniers n'est capable d'en dire plus. Ce manque de transparence autour du traitement des détenus fait le jeu des rumeurs les plus folles. On parle d'expérimentations à l'éthique douteuse ou de tortures appliquées en simulespace pour le ravissement de millionnaires sadiques.

Je laisse de côté ces hypothèses fantasques. J'ai déjà ma petite idée, mais j'ai besoin de la confirmer.

Je zigzague donc entre les rues polluées et délabrées de ces mines historiques réaménagées en bidonville. Ici, les descendants des familles de mineurs errent dans la misère et la désuétude depuis que leur travail est effectué par de la main-d'œuvre robotique. Quelques pauvres âmes s'affalent à même la boue qui jonche les galeries et crachent leurs poumons. L'épidémie de fièvre arésienne a touché tout le Dôme, mais fut particulièrement dévastatrice dans les quartiers où les habitants n'ont pas les moyens de se payer des soins. Un cycle après, beaucoup gardent des séquelles.

Les Chasseurs de MiragesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant