31 - La Terre Promise

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Fen

Posé sur la barque, je relève dans nos filets une belle brochette d'omouls et d'esturgeons. Je les jette dans les bassines, aux côtés de la cargaison de crevettes, déjà soutirée dans les parcelles d'élevage. Ce maigre effort m'a quand même fait transpirer sous le soleil pesant de fin d'après-midi.

Comment dire... Y'a du bon et du moins bon dans cette vie. C'est sûr, on ne peut pas s'attendre à ce que tout tourne aussi bien qu'une came bien graissée. Dans la catégorie « quelle plaie ! », je range volontiers toutes les corvées quotidiennes, genre la remontée de ces foutus filets. On va dire que c'est pas cher payé pour le plaisir de se blinder la panse, une fois le poisson frais grillé au barbec.

Je me cale paresseusement entre la coque et mon barda, et débouchonne la gnôle que je garde toujours entre les planches. Un indispensable. J'en fais couler une longue rasade dans mon gosier et penche la tête en arrière pour savourer ces petits embruns frais qui me frisent la barbe et le léger roulis de la barque.

Finalement, c'est pas cher payé tout court pour le privilège de grappiller ces moments de plénitude et de sérénité, bercé sur l'eau comme un bébé. Parfois, je songe que le feu et l'action me manquent. Où est ma dose d'adrénaline ?

Avec les gars, on a évidemment pensé à aller déployer notre indésirable virilité côté tribu cent pour cent femelle. Le chef nous l'a interdit. Soi-disant qu'offenser leur bande de sous-évolués nuirait au commerce et aux relations avec nos alliés forcés. Pfff ! Pour ce que j'en ai à faire... Alors, je ronge mon os goût frustration en allant faire chaque jour des ronds dans l'eau sur ma barque.

J'ouvre un œil paresseux vers l'astre solaire qui disparaît par-delà l'horizon infini du lac. Infini ? Pas tant que ça.

Le mois dernier, on s'est lancé en expédition sur le voilier, histoire de s'assurer que l'herbe n'était pas plus verte au bout. Bon, on aurait pu questionner directement notre devin attitré, mais on jugeait que c'était plus sympa de se réserver la surprise. Un peu de divertissement, bon sang ! De toute façon, Os n'a jamais été aussi recroquevillé sur lui-même. Je me demande même s'il interagit avec quelqu'un d'autre que Zi.

Bilan de la première expédition : déception. On a navigué cinq heures sans voir le bout du lac et comme on est partis bille en tête, comme des bolides excités d'avoir trop été à l'arrêt, on n'avait absolument pas pris de quoi assumer un voyage de longue haleine. Demi-tour.

Deuxième tentative, avec provisions et matos. Il nous a fallu un jour et demi pour atteindre l'autre rive. Trente-sept putains d'heures ! Je me suis même demandé si la voie n'allait pas se terminer en cascade d'eau glissant dans le vide du bout du monde. Mais il paraît que la Terre est ronde.

On a fini par en venir à bout. Et par constater que l'herbe est aussi verte de l'autre côté. En revanche — et ça, ça a tout de suite allumé les mêmes idées dans la tête des gars en le découvrant — on est tombé sur une ville ! Pas celle de la vision soi-disant divine qu'Os avait partagée — celle-là j'ai comme l'impression qu'on peut tirer une croix dessus — juste le tas de ruines habituel. Et habité.

On n'a rien fait la première fois, se contentant de jouer les explorateurs pacifistes. Ces planqués-là ne nous ont pas accueillis comme des dieux, mais avec une méfiance légitime. Parfait. On est retournés à la maison et on n'a pas traîné pour remonter une troisième expédition. Avec des armes, cette fois.

Par acquit de conscience, on a avoué nos plans au chef. Il n'a pas validé, mais n'a pas refusé non plus. La seule condition était que ces mous du genou de Vautours n'en sachent rien. Qu'on leur fasse croire qu'on a juste vidé des ruines inhabitées. Alors on est partis entre nous. Bras dessus, bras dessous, soudés comme au bon vieux temps. Et même si personne ne s'est risqué à le faire remarquer, l'absence de Zilla, Wolf et Talinn nous a chafouinés.

Les Chasseurs de MiragesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant