2 - Les Tours Englouties

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Fen

Pauvres bouseux, asticots enterrés derrière leurs tours trouées... Ils n'avaient aucune chance. Je ne suis même pas sûr qu'ils nous aient vus arriver avec les rafales ; trop occupés à claquer des dents à l'idée que la tôle s'écroule sur eux.

Je les comprends. Si ces abrités ne nous ont causé aucune difficulté, les turpitudes de la tempête, si. Un des pilotes de la brigade de Wolf s'est blessé parce que sa moto a valsé sous une bourrasque, deux autres buggys se sont renversés. On retournera les chercher demain ; si on arrive à les retrouver et à les déterrer sous le sable.

Le cœur du convoi — la partie molle du cortège, les piètres combattants — a vite trouvé refuge dans la gare, tandis que nous, le fer de lance, avons nettoyé les derniers souffles de résistance dans la zone. Étonnamment, ce sont les gonzesses qui nous ont donnés le plus de fil à retordre. Elles s'imaginaient qu'on oserait moins les tuer que leurs collègues poilus. Elles n'avaient pas tort. Quel serait l'intérêt des pillages sans femmes encore en vie pour pouvoir en profiter ? On a tout de même fini par les débusquer.

J'ai aidé les gars à rameuter les survivants dans un coin. Les chattes d'un côté, les couilles de l'autre. La deuxième catégorie a fondu comme le crâne chauve d'Armin en plein cagnard. La règle est simple, si le type n'a pas l'air costaud, le tarif est un coup de couteau dans la gorge. S'il a l'air costaud... on voit ça plus tard.

Les équipes des ailiers ramènent leur fraise. Les gars de Grimm traînent dans leur sillage une douzaine de nanas ficelées à la hâte. Vêtements déchirés et visages choqués, elles processionnent comme du bétail. Sacré Grimm... Même à deux doigts de l'apocalypse, il garde le sens des priorités.

o

Luth

La tête en l'air et la bouche ouverte d'émerveillement, je balaye des yeux l'immense voûte du hall. Les conducteurs ont fini de rentrer les camions. Même en considérant le plus haut — celui de la citerne de fioul — il reste encore assez de place pour en empiler six autres !

Poutres en acier boulonnées, toiture épaisse, garnie de ce qui a pu être, à une époque, des feuillets de métaux précieux. Bien qu'ils soient ternis par l'âge, on devine le souvenir de leur éclat. La charpente s'arque au centre, procurant le sentiment de s'abriter sous une cloche géante.

Puis elle tremble, sous le coup d'une bourrasque plus violente. L'enchantement s'évanouit et cède à l'oppression. Je me sens comme piégé sous cette chape de ferraille. Et si elle ne résiste pas à la tempête ? Et si ces tonnes de matériaux s'effondrent sur nous au plus fort du cyclone ? Ce malaise me glace les os.

Respire Luth, respire. Cette gare existe depuis bien plus longtemps que toi et regarde ces trains là-bas ! Ils sont en parfait état de conservation, on distingue encore les écritures sur les wagons, peintes dans un étrange alphabet. Des tempêtes comme celle-là, ils en ont vu d'autres ! Si leurs pistons et compresseurs pouvaient tourner, ils riraient de ma couardise.

Je devrais aider à monter le camp ; cela me passerait ma claustrophobie.

Un navigateur ne sert plus à grand-chose lors d'un arrêt forcé. Alors, je décharge les caisses avec Aristote et Lindberg, puis installe un large feu et les victuailles nécessaires pour ravitailler la petite troupe. Petite, c'est vite dit. Les Rafales totalisent quand même soixante-trois hommes. Rares sont les groupes nomades aussi denses. Surtout ceux uniquement composés d'individus mâles, en pleine forme physique, dépourvus de handicaps liés à la pollution. Voués corps et âme à la barbarie, au combat et au pillage. Sauf Os. Os ne compte pas comme un membre de notre tribu.

Les Chasseurs de MiragesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant