Papillon

Chapitre 1

Quand on regardait des photos de Kyle, on pouvait difficilement imaginer quel sombre caractère se cachait derrière son sourire immaculé et ses yeux à tomber. Le jeune homme connaissait parfaitement son corps et chaque trait de son visage, aussi parvenait toujours à se positionner correctement devant l'objectif même dans les situations les plus ridicules. Son bon goût en matière de vêtements, à la fois décontractés et de qualité, associé à quelques bijoux argentés au mailles épaisses cliquetant sur sa peau, il donnait l'image d'un beau gosse qui s'ignore et qui aurait été tellement plus canon s'il choisissait des fringues plus classes et s'il mettait davantage d'ordre dans ses cheveux blond foncé. De ces instants fugaces, pris sur le vif, Kyle faisait alors l'effet d'un mec sympa et apprécié, le genre d'homme à figurer dans les téléfilms de l'après-midi et qu'on rêve de chopper à la place de la greluche de service.

Au fond, Kyle Eastwood avait le visage type du pervers narcissique en puissance. Sacha refusa de le croire jusqu'à commencer sa thérapie, car jusque là, le jeune métis était toujours parvenu à cerner les gens de façon plutôt correcte, et l'idée de s'être autant trompé sur l'home partageant sa vie lui paraissait inconcevable. Après tout, Kyle n'était pas le seul à cacher ses souffrances derrière un visage aimable, Sacha se montrait également très doué en la matière et il avait trompé son monde durant de longs mois, sans que personne ne se doute des sévices psychologiques que son ex lui faisait alors subir. Quelque part, le tatoueur avait trouvé un écho de ses peines chez Kyle et vivre une relation amoureuse avec quelqu'un pouvant le comprendre, et qu'il pouvait comprendre, lui paraissait alors naturel, voire même valorisant.

A l'époque, Sacha n'avait que dix-sept ans et Kyle vingt-deux. Ce dernier suivait un cursus économique à l'université, comme son père avant lui, et se destinait à reprendre les rênes de l'affaire. C'était un homme intelligent, brillant même, et il ne rechignait pas à aider ses camarades quand cela s'avérait nécessaire. Ecraser les autres ne l'intéressait pas et il admettait avoir la chance de baigner dans ce milieu depuis tout petit. Ainsi, les chiffres et la logique financière ne lui étaient pas inconnus, et parce que son père estimait sa sœur inapte à prendre sa suite, il l'avait habitué très jeune à s'intéresser à la gestion d'entreprise. Au fond, Kyle Eastwood suivait une voie toute tracée et partager ses connaissances avec les autres faisait partie de lui.

Combien de temps fallut-il à Sacha pour admettre que tout cela n'était qu'une pure construction, une façade douloureusement montée de toute pièce, un vêtement d'apparat dont Kyle s'enveloppait constamment, telle une cape de super-héros ?

La vérité, c'était que son ex était un homme en grande souffrance, coincé dans un rôle de fils à papa où il étouffait depuis des années. Son homosexualité refoulée durant son adolescence en fit un gamin violent, une petite frappe qui se cachait derrière la réputation et l'argent de son père pour malmener et harceler tous les garçons ne répondant pas aux critères masculinistes de la vilité. Il manqua même de violer un de ses camarades dans les toilettes du collège où il le tabassait, rêvant d'embrasser cette bouche d'où s'échappaient un flot d'insultes à chaque coup de poing. Il fallut étouffer l'affaire, payer grassement les parents du gamin en question, déménager et placer leur fils dans un internat, en espérant que la discipline de l'établissement saurait remettre Kyle dans le droit chemin.

D'après les dire d'Alexis, les règles de leur école n'avait fait que rendre Kyle plus discret. Le harcèlement et les violences avaient perduré, mais sans que cela ne parvienne aux oreilles des surveillants et enseignants. Une colère destructrice, alimentée par un ressentiment puissant envers ses parents, le mépris qu'il ressentait envers lui-même et ses désirs tabous forgèrent malgré lui sa sexualité malsaine où la haine et l'amour se confondaient. Kyle détestait autant qu'il adorait les mecs qu'il emmerdait, et qu'il se tapait parfois dans le gymnase, aux chiottes ou dans la buanderie. C'était un type sale, le genre de mec qu'Alexis avait autant craint que respecté. Il ne mettait alors pas mots sur sa bisexualité mais il se savait attiré par les hommes et l'idée que ce connard essaie de lui mettre la main dessus lui donnait la gerbe.