Chapitre 14

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Roxanne était là. Seamus pouvait entendre son rire et presque sentir son odeur entre les murs de son appartement. Des mois plus tôt, il ne représentait que quatre murs branlants qui lui permettaient de s'échapper de chez lui. A présent, il était ce refuge où il se sentait en sécurité.

Et dire que Seamus pensait fuir la toxicité de sa famille en quittant l'Irlande... Il avait beau aimer ses parents, qui toléraient son homosexualité et prenaient souvent de ses nouvelles, il ne pouvait plus supporter le masculinisme de son père et la soumission de sa mère, entretenus et nourris par l'ego surdimensionné de Connor. Cet abruti n'avait jamais supporté l'idée d'avoir un cadet et Seamus se rappelait encore de son attitude exécrable quand, enfant, il lui reprochait d'être né, et demandait à ses parents pourquoi ils avaient conçu un second enfant.

Seamus n'avait jamais entretenu de bonnes relations avec son frère aîné. Il avait pourtant essayé de toutes ses forces, mais Connor avait constamment maintenu une distance entre eux, et plus les années passaient, et plus il s'acharnait à le rabaisser, à critiquer ses choix de vie, ses études, à s'en prendre à son physique et à tout ce qui faisait de lui un homosexuel. Connor n'était pas homophobe dans l'âme, mais tout était bon pour critiquer son cadet et en faire un faiblard qui n'arriverait à rien dans la vie. C'était même lui qui avait entretenu l'horrible harcèlement que Seamus avait subi autant au collège qu'au lycée, et s'il avait pu lui cracher au visage, il l'aurait fait.

Connor le détestait d'exister, alors Seamus avait pensé à s'enfuir en entamant ses études supérieures en France, car il gardait de bons souvenirs de ses quelques années passées sur place, et mettre de la distance entre sa famille et lui ne pouvait que lui être bénéfique. Or, sa mère n'avait pas supporté l'idée de vivre loin de son cadet, et comme il était hors de question que Seamus brille de quelque façon que ce soit, Connor avait accepté de déménager malgré son français au ras du sol.

Ce n'était d'ailleurs pas le seul domaine où Connor était en échec. Après une adolescence d'enfant roi où sa forte corpulence en faisait un caïd aux yeux de ses camarades, il s'était méchamment cassé la gueule lors de son entrée dans la vie d'adulte. Il avait pensé faire carrière dans le baseball, mais une sévère blessure à la cheville avait réduit ses rêves à néant, et il ne cessait depuis d'enchaîner les formations sans jamais trouver de boulot à sa convenance. La vérité, c'était qu'il n'était qu'un raté que ses parents avaient protégé, en espérant que cela calmerait sa colère de gamin ne supportant pas l'existence de son cadet. Il se complaisait dans ce rôle de mec incompris qui n'évoluait pas et s'inquiétait sérieusement pour son avenir.

Autant dire qu'il ne supportait pas la réussite de Seamus, qui étudiait dans une bonne école d'ingénierie et qui vivait à présent en colocation sans demander quoi que ce soit à ses parents. Il n'était même pas venu à Noël, malgré un harcèlement en règle de Connor, car son absence avait activé les commérages vantant son indépendance remarquable pour un homme si jeune. Le fait que Seamus passe également de bons moments avec ses amis le mettaient hors de lui, car en déménageant, Connor avait renoncé à tout son cercle de fidèles et il parvenait difficilement à se faire des copains en France.

Cerise sur le gâteau, Théo l'avait démonté comme personne ne l'avait fait au cours de sa courte vie. La famille de Seamus avait déjà eu un aperçu de la personnalité orageuse de l'étudiant vétérinaire au cours d'un appel téléphonique. Connor se plaignait depuis quelques temps que leurs parents baissent son argent de poche pour en donner davantage à Seamus, car ils s'inquiétaient de ses finances. Il n'était absolument pas prêt à ce que Théo l'envoie chier en lui crachant au visage qu'il n'était qu'un inutile immature qui ferait mieux de se trouver un boulot au lieu de quémander de la thune à ses géniteurs.

Quelques jours plus tard, Seamus était allé dîner chez ses parents et s'était pris un sacré retour de flamme de la part de Connor. Si celui-ci s'était laissé gueuler dessus, car il n'était pas habitué à ce qu'on lui rentre ainsi dans le lard, il l'avait vécu comme une profonde humiliation et sa couardise l'empêchait de régler ses comptes avec le principal concerné. Or, ce dernier était venu chercher son colocataire chez lui, et après avoir été invité à boire le café par la mère de famille, tout le monde avait compris que cette conversation avec Théo n'était qu'un avant-goût de ce qui attendait Connor.

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