Papillon

Chapitre 17

« C'est mort ! Je refuse de parler de ça avec toi.

- Mais Sacha...

- C'est non ! Ma vie intime ne regarde que moi, et il est hors de question que je te fasse un rapport là-dessus !

- Ta tante a bien eu des détails !

- Ah non, moi j'ai juste su qu'il avait mal aux fesses.

- Et c'est suffisant ! »

Outré, Sacha traversa le salon pour se rendre dans la cuisine. Il enfila ensuite ses baskets à la va-vite, passa la porte-fenêtre menant au balcon puis dévala les escaliers pour se rendre au jardin. Le jeune homme s'était évidemment préparé à cette confrontation mais il ne s'attendait pas à ce que son parrain aborde le sujet aussi frontalement. Ils ne s'étaient pas vus pendant deux semaines et Sacha avait tant de nouvelles à prendre et tant de choses à lui raconter qu'être aussitôt interrogé sur sa vie sexuelle l'avait complètement refroidi.

En vérité, songeait-il en récupérant quelques bières, le tatoueur craignait tant cette confrontation qu'il avait fui son parrain tout au long de la semaine. Il avait donc passé son lundi avec Sunny, au cas où Stephen viendrait à la maison, et séché ses séances de sport. Sacha avait évidemment squatté chez Andrew mercredi soir et profité de l'absence de ses parents pour un dîner en amoureux. Cependant, le tatoueur avait une maison, et une tante qui pouvait difficilement se débrouiller seule, donc il s'était résolu à dormir chez lui ce vendredi soir. Son parrain se trouvait évidemment chez eux à leur arrivée.

Sacha se demandait souvent pourquoi il lui était si difficile d'en parler avec son parrain. Ce qu'il ressentait comme de l'embarras relevait en réalité du blocage pur et simple, notamment quand il était question de son anus. Il rechignait déjà à évoquer cette partie de son anatomie avec ses amis car il jugeait cela trop intime, et il était déjà si gêné avec l'idée qu'Andrew l'ait vu avant d'y glisser son pénis... Sans parler de la douleur, des soins, de sa propre auscultation... Tout ce qui touchait de près ou de loin à ce sujet le plongeait dans un malaise sans nom. Il n'y avait guère qu'avec Andrew qu'il en discutait.

Enfin, Sacha avait fondu en larmes le mercredi suivant leur première fois, car il avait encore un peu mal et il craignait de ne pas être capable de recommencer. Tout se bousculait dans sa tête et cette pudeur si profondément ancrée en lui refaisait surface. Son amoureux avait su trouver les mots pour le rassurer mais il n'avait pas encore brisé le tabou entourant son anus. Il avait cherché à creuser, mais il ne comprenait pas que, pour Sacha qui avait grandi avec des mangas, des romans, des films, des discussions et cette idée que ce n'était pas si douloureux ni important, se donner à quelqu'un n'était pas anodin. C'était confier à l'autre une partie de son corps qui n'avait pas été conçue pour ça, initialement, découvrir de nouvelles sensations, dompter des peurs et des douleurs nouvelles, et devenir une autre personne, plus mature, et sexualisée.

Sacha vivait un tel bouleversement, et même si la communication n'était pas toujours simple avec Andrew, il était le seul avec qui il arrivait à en parler. Il ignorait si c'était bien normal, mais en tous les cas, le jeune homme ne voulait pas se forcer avec d'autres.

« Et voilà les bières, dit-il en revenant dans la cuisine. Il faudra en racheter, on n'en a presque plus.

- Je note pour notre prochaine livraison, lui assura sa tante depuis le fauteuil. Qu'est-ce que j'adore me faire livrer... On le faisait pas autant avant, mais franchement, c'est le pied !

- C'est le cas de le dire, maugréa Stephen. Bon, Sacha, on peut avoir cette conversation d'hommes ?

- On peut avoir toutes les conversations que tu veux, répondit le jeune homme en décapsulant les bières, mais certainement pas celle-ci. J'aimerais que tu respectes plus mon intimité.