Chapitre 6

781 70 47
                                    

Depuis le sous-sol, Ben entendait le bruit lent mais régulier des béquilles d'Isaline. Elle se déplaçait sur le parquet clair du shop avec une aisance que finissent par détenir les estropiés de longue, bien que son accident ne remonte qu'à un mois plus tôt. Bien que diminuée, la patronne de Nightingale Tattoo n'en demeurait pas plus impressionnante et terrifiante, et le son des embouts en plastique tapant contre le sol était devenu l'une des plus grandes angoisses du jeune pierceur.

« Ben, t'as fini l'inventaire ?

- Oui, presque ! »

Cela faisait déjà une semaine que Ben avait intégré l'équipe du shop, au terme d'un entretien musclé où il avait cru perdre contenance un nombre incalculable de fois. Il était anxieux de nature, et s'attendait au pire en postulant comme apprenti dans ce réputé shop de tatouage durant les vacances de Noël, sautant sur l'annonce publiée en ligne. Le jeune homme cherchait un maître depuis des mois et impossible de se faire recruter, car il ne possédait ni réseau, ni expérience et encore moins le physique du métier. Tout du moins étaient-ce les arguments qu'on lui avait avancés, quand on prenait la peine de lui expliquer pourquoi sa candidature n'était pas revenue.

Ainsi, la veille de la réouverture du shop, Ben avait joué sa vie dans cet entretien. Il ne pouvait plus se permettre de vivre sur le dos de sa copine, d'enchaîner les petits boulots au black pour mettre du beurre dans les épinards, ni de stagner comme c'était le cas depuis un an et demie, depuis qu'il avait quitté son emploi à la banque pour reprendre son avenir en main. Celui-ci restait au point mort et Ben ne le supportait plus. Il devait avancer. Vicky devait le prendre comme apprenti, coûte que coûte.

C'était évidemment sans compter la patronne qui l'avait terrifié dès les premières minutes. Là où la pierceuse se montrait avenante, Isaline Anderson campait sur sa position de cheffe d'entreprise, et avait décortiqué son CV, son discours, son visage, tout ce qui faisait de Ben un être humain un peu à part. Il s'était senti mal-à-l'aise en sa présence, et Vicky avait beau lui expliquer qu'Isaline était de mauvaise humeur ce jour-là, en grande partie parce qu'elle avait été forcée de venir au shop pour les entretiens contre son gré, le pierceur ne se départait pas de cette mauvaise impression. A la moindre fausse note, il finirait à la porte, comme son prédécesseur.

« C'est interminable, gémit Vicky en le rejoignant dans le couloir. Je déteste faire ça... Je peux m'en prendre qu'à moi-même, j'ai qu'à m'en occuper plus régulièrement mais ça me soûle à un point !

- Je veux bien te croire, approuva Ben, assis par terre et occupé à remplir un tableau. Personne ne peut t'aider ?

- Si, mais ça reviendrait à dire que je n'arrive pas à gérer le piercing toute seule, et Isaline aurait un argument de plus pour mettre cette activité au placard, et récupérer cette pièce. Elle s'en tape mais c'est important pour moi que ce shop propose également du piercing, d'autant plus qu'on a tout le matos pour ça.

- Dois-je comprendre que si je prends ta suite, il va falloir que je me batte pour garder cette pièce ouverte ?

- Non, car tu y bosseras à temps complet et tu seras donc plus rentable que moi, lui assura Vicky en récupérant la feuille dûment remplie. Alors, voyons voir... Tiens, lui dit-elle en la lui rendant, avec quelques données entourées au crayon. Il faudra que tu reportes tout ça dans le tableau, tu demanderas à Fred. Mais avant, tu vas manger. Monte, je te rejoins vite. »

Ben ne se fit pas prier et monta à l'étage. Il était près de quatorze heures et il n'avait rien avalé depuis la veille. Son anxiété atteignait un tel stade qu'il peinait à boire son café du matin, ce qui rendait folle sa copine. Mégane ne comprenait pas pourquoi il se rendait autant malade pour un job. Certes, son pote Jordan s'était fait virer du jour au lendemain, juste avant les fêtes, mais il n'avait pas craché sur Vicky ni même si le job en soi. C'était plutôt Isaline qui en avait eu pour son argent, de par son mépris à son égard et sa cruauté de le jeter ainsi comme un malpropre.

PapillonOù les histoires vivent. Découvrez maintenant