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Je suis assise par terre, adossée à une étagère de la bibliothèque, entourée de livres. L'endroit est presque désert, à tel point qu'on pourrait dire qu'il n'y a personne. Je me demande pourquoi je me suis installée ici, entre deux rayonnages, alors qu'il y a des tables disponibles. Je soupire. Après tout, ce n'est pas la première fois que je préfère m'asseoir au sol plutôt que sur une chaise.

   Peu importe. J'ai essayé de trouver des ouvrages sur ce monde, sur leurs dieux et les « sentinelles ». Mais je n'ai rien trouvé. J'aurais voulu en savoir plus sur eux. Comment ont-ils pu devenir si abominables alors qu'ils étaient censés protéger le peuple ? Ne trouvant rien de pertinent, je me suis rabattue sur le livre de la dernière fois, celui qui parle de la Terre.

   La plupart des informations qu'il contient sont exactes et plutôt détaillées. Pour une école qui refuse d'enseigner quoi que ce soit sur la planète bleue, laisser un tel livre à la disposition des élèves est une véritable aberration. N'importe qui pourrait tomber dessus et s'instruire. Sérieusement, il suffit d'ouvrir ce grimoire pour en apprendre bien plus sur la Terre que ce qui est permis ici. Pourquoi est-ce que c'est « tabou » ?

   Je bascule la tête en arrière contre l'étagère. Les rayonnages me paraissent gigantesques, et le plafond semble encore plus loin. Être ici me permet de retrouver un peu de solitude. Ces derniers jours, le seul moment où j'étais réellement seule, c'était sous la douche. Même lorsque Monsieur Admaski m'aide à maîtriser mes pouvoirs après les cours, il y a toujours quelqu'un autour de nous. Généralement, ce sont les jumeaux. Ils ne me lâchent pas d'une semelle, et sont là dès qu'ils en ont l'occasion. J'ai l'impression que Diego fait tout pour qu'on ait un contact physique. Ce n'est pas que l'idée me déplaise, mais c'est plutôt étrange. Ils sont adorables, toujours soucieux de s'assurer que je vais bien, que je mange assez, que je dors suffisamment, mais à la longue, c'est étouffant. Aujourd'hui, je les ai un peu évités. Ils ont probablement remarqué, car à chaque fois que je les apercevais, je m'éclipsais en douce, le plus rapidement possible.

   Cela me rappelle l'autre jour, quand j'ai tiré des flèches et que ces dernières ont littéralement explosé les cibles. J'ai été convoquée chez Madame Widney, en compagnie du professeur garou. Ils essaient de déterminer ce que je suis, car apparemment, je ne correspond pas au profil typique d'une sorcière. Je ne vois pas pourquoi ça les préoccupe tant, mais bon, tant que ça ne change rien à ma scolarité ici, je m'en tape.

   Plus je m'entraîne, plus je parviens à maîtriser ma foudre. Le professeur de défense essaie de m'apprendre à contrôler la trajectoire, mais pour l'instant, c'est un travail en cours.

   Il y a trois ou quatre jours, j'ai refait le test de niveau et mes résultats ont considérablement augmenté. Si j'étais à 935 la première fois, la deuxième fois, j'ai atteint 1439. Je me rapproche du niveau d'Aïsha, ce qui l'a rendue très heureuse, car j'ai comblé l'écart en un rien de temps.

   Je tourne légèrement la tête en gardant ma joue contre les livres, essayant de voir qui approche. Tiens, le beau brun garou est là. Sans son frère, pour une fois. Quand l'un est présent, l'autre n'est jamais loin.

— Qu'est-ce que tu fais assise par terre, toute seule ?

— Je bouquine.

   Je lève le grimoire pour lui montrer. Il s'assoit en face de moi, contre l'étagère opposée, une jambe tendue et l'autre pliée, son bras reposant dessus. Je ne comprends pas pourquoi lui et son frère sont toujours dans les parages. Même les triplés ne sont pas aussi envahissants, et encore moins Aïsha et son groupe.

— À quoi tu pensais ?

   Je soupire légèrement, cherchant à rassembler mes pensées et de les mettre en ordres.

— Est-ce que ça te hante, toi aussi ? Je précise en le voyant froncer les sourcils. Ce jour-là, dans la forêt, avec la biche.

— Ça m'arrive d'y repenser. Tu en cauchemardes ?

— Parfois.

— Alix ne m'en a pas parlé... Murmure-t-il.

   J'avais remarqué ça aussi. Alix lui fait parfois des comptes-rendus de ce que je fais ou dis dans la chambre. C'est assez agaçant, et je ne comprends pas pourquoi elle s'en sent obligée.

— Pourquoi doit-elle tout te dire me concernant ?

   Surpris, il ne répond pas tout de suite, alors je poursuis :

— Je l'ai remarqué, tu sais. Parfois, Aiden et toi me parlez de choses que seule Alix, présente dans la chambre, peut savoir. J'imagine que comme elle est votre amie et, accessoirement, ton ex, elle vous raconte tout et vous parle de moi.

— Elle aime bien parler des gens qu'elle apprécie, et tu es dans la même chambre qu'elle.

— Pourtant, elle ne me parle jamais de vous. Je réplique.

   Un silence s'installe. Je reporte mon attention vers le plafond. Je décide de changer de sujet :

— Où est ton frère ? Vous ne vous séparez jamais longtemps.

— Il fait ses devoirs dans la chambre. Pourquoi nous as-tu évités toute la journée ?

— J'avais besoin d'un peu d'espace.

— D'espace ?

— Oui, ça aussi je l'ai remarqué, dès que vous en avez l'occasion, vous venez me voir.

— Parce qu'on t'apprécie et que tu es notre amie. Mais si tu veux, on peut arrêter. Réplique-t-il avec un soupçon de colère en se levant.

— Je n'ai jamais dit que ce n'était pas réciproque. C'est juste que je n'ai pas l'habitude d'être collée H24 à quelqu'un ou à un groupe. Sur Terre, j'étais souvent seule, sauf avec Katy ou Ash. Ici, je ne suis jamais seule, sauf sous la douche.

— Je comprends... On fera plus attention. Dit-il en se réinstallant à sa place. Pour tes cauchemars, si ça se reproduit, viens me chercher. On ira dans le jardin pour te changer les idées.

— Tu oublies le couvre-feu, et le fait que je n'ai pas le droit de venir dans le dortoir des garçons.

— Et toi, tu oublies que je suis un loup-garou. Je saurais flairer si un prof s'approche.

— Pas moi, pour venir te chercher.

— Ce n'est pas faux.

   Nous rions ensemble. Puis, le silence retombe, et je le vois se rapprocher lentement, se mettant à quatre pattes. Sa main se pose doucement sur ma joue, juste entre mes cheveux et ma peau. Nos regards ne se quittent pas un instant.

— Plus j'apprends à te connaître... plus je suis content que ce soit toi. Murmure-t-il avant de poser délicatement ses lèvres sur les miennes.

   Son baiser est à la fois fiévreux et tendre. Mes yeux se ferment progressivement, et je me laisse emporter sans réfléchir, sans comprendre pourquoi je cède si facilement. C'est à la fois délicat et envoûtant, une sensation de papillons dans mon ventre me fait tout ressentir plus intensément. Non, c'est ce baiser qui me fait ressentir tout cela, qui me rend toute chose.

   Il s'écarte doucement, retirant sa main, et je rouvre les yeux pour voir son micro sourire tandis qu'il se redresse. Je sens la chaleur monter à mon visage, et mon cœur battre plus vite.

— Ce sera notre petit secret.

   Et il s'en va, comme ça, comme s'il ne s'était rien passé. Mais... Enfin... Pourquoi ? Pourquoi m'a-t-il embrassée ? Pourquoi ce baiser m'a-t-il bouleversée autant ? Pourquoi mon cœur bat-il si fort ? Pourquoi ai-je le souffle coupé ? Et surtout, pourquoi est-il content que ce soit moi ? Moi, quoi ?

≈≈≈

Académie OllphéistOù les histoires vivent. Découvrez maintenant