Roméo & Joseph

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-Bonjour, Ange. 

La voix de la Mère Supérieure tira Ange du petit déjeuner sur lequel elle était concentrée. Elle tourna la tête, et la salua avec politesse et respect, comme on lui avait appris à le faire. 

-Bonjour, Mère. 

La vieille femme lui sourit, à elle ainsi qu'à la Cassandre mutique qui mangeait à un rythme raisonnable le pain et la pomme qui servait de petit déjeuner à toutes les nonnes. Le menu n'était pas toujours très varié, mais le monastère produisant lui même la majorité des produits qu'il consommait, c'était à attendre. 

-Comment t'acclimates-tu, ma fille? Demanda la Mère Supérieure. La vie au monastère te plaît?

Ange n'osait pas dire qu'elle la trouvait très ennuyeuse bien que particulièrement calme, alors elle tenta de le formuler autrement.

-Eh bien... votre hospitalité m'aide beaucoup, mais j'ai la sensation de n'être que nourrie et blanchie sans rien pouvoir faire en contrepartie.

-Nous ne te demandons pas de paiement, mon enfant. Sourit la vieille femme. Ce serait contre le principe même de la vie monastique.

-Ce... n'est pas ce que je voulais dire. Sourit Ange, un peu ennuyée par la manière dont la Mère Supérieure avait tourné la chose. Je tiens simplement à... m'impliquer plus dans la vie, à aider. Pas simplement à rester à attendre dans ma chambre que la mémoire me revienne. 

-Hm... je vois... pas d'autre souvenir, par ailleurs?

Ange fronça les sourcils. 

-Non, malheureusement.

Elle avait réussi à se souvenir de quelque chose le jour même de son réveil, après tout. Elle s'était attendue à pouvoir recouvrer rapidement la mémoire, mais presque deux semaines s'étaient écoulées, et rien. Pas la moindre bribe d'information n'avait fuité de son maudit esprit, ce qui avait le don de frustrer la jeune femme. Cela lui avait cependant appris une chose sur elle même; elle n'était pas le moins du monde patiente. D'ailleurs, elle avait aussi appris que les règles strictes du monastère lui tapaient beaucoup sur les nerfs, et que cela la faisait parfois lâcher des piques cinglantes qui faisaient écarquiller les yeux des moniales alentour. Cela, pourtant, avait été bien loin d'atténuer sa popularité auprès de celles-ci, surtout des plus jeunes. Il fallait admettre qu'il n'y avait pas souvent de nouveauté dans le monde fermé du monastère, et que, en conséquence, Ange était ce qu'il y avait de plus intéressant pour le moment. Les nonnes passaient la voir dans sa chambre au moindre prétexte, pour discuter avec elle, tenter d'être les nouvelles à déclencher le nouveau souvenir. Elle était un livre dont tout le monde, y comprit elle même, tentait désespérément de lire le contenu. Sans beaucoup de succès.

-Quel dommage. Soupira la Mère Supérieure. Eh bien... si tel est ta demande, je pense qu'il ne fait pas de mal de commencer à t'intégrer un peu plus à la routine des habitantes du monastère, n'est-ce pas? Tu es bien bâtie, je suis sûre que les travaux des champs t'iront à merveille. Si, bien sûr, cela te va?

-Cela me va parfaitement. Répondit Ange, excitée à l'idée d'avoir enfin quelque chose à faire. 

Jusqu'ici, elle n'avait fait que se promener dans le monastère, discuter avec les nonnes, réfléchir dans sa chambre, et repousser le moment où elle devrait lire le seul livre qu'on lui avait fourni, une épaisse bible prenant la poussière sur sa table. Pouvoir enfin s'occuper à autre chose, même si c'était mettre les mains dans la terre. Et, après tout, qui sait? Peut être était-ce son métier dans sa vie d'avant? Peut être que de nouveaux souvenirs lui viendraient enfin? 

C'est ainsi qu'Ange se retrouva au milieu d'une foule de nonnes lui lançant des regards discrets, vêtue d'une tablier sensé la protéger ainsi que de la longue robe réglementaire des moniales. Elle était dispensée du châle, comme la plupart des autres femmes étant en route pour travailler dans les champs sous ce soleil de plomb, lui préférant des chapeaux de pailles, dont Ange apprécia particulièrement le design. Par réflexe, elle chercha Cassandre autour d'elle, mais ne la trouva nulle part. Elle s'était habituée à ce que la mutique moniale qui devait être sa guide soit toujours à proximité d'elle quand elle n'était pas dans sa chambre, bien que leurs échanges soient particulièrement limités. Ange leva un sourcil, avant de hausser les épaules. Elle ne pouvait pas s'attendre non plus à ce que Cassandre soit toujours sur ses talons, et, elle devait admettre qu'être un peu laissée tranquille lui faisait du bien. Une nonne plus âgée répartit les tâches, et Ange se retrouva donc à désherber à la main le potager regorgeant de fruits et légumes mûrissants ou déjà prêts à être récoltés. Être baissée ainsi, et répéter sans cesse le même geste, était éprouvant, mais la jeune femme trouva une certaine satisfaction dans cette occupation. 

1000 mètres sous la surfaceOù les histoires vivent. Découvrez maintenant