Léthée

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La porte de la grange éclata dans un nuage de sciures et de poussière. Son bois était si vermoulu qu'elle s'était presque arrachée tout seule, tandis que l'intérieur se retrouva soudain baigné de la lumière du soleil qui illuminait le ciel polonais. Alice, elle, s'avança au milieu des décombres. Autour d'elles, les quelques silhouettes qui s'étaient affairées dans l'obscurité de la grange se figèrent en la fixant. Et en tremblant.

Le long manteau noir que portait Alice, et la capuche rejetée sur ses cheveux blancs n'étaient pas suffisant à camoufler son identité désormais. Ni la raison pour laquelle elle était là. Son visage se tourna vers la silhouette la plus proche d'elle, une femme en train de se recroqueviller contre l'établi sur lequel elle était jusque là en train de travailler. La couleur blanche de la poudre en train d'être camouflée à l'intérieur de bonbons bariolées jurait avec la couleur bois pourri de la planche. Un rictus déforma le visage d'Alice.

-Où est votre patron?

-Nie rozumiem... répondit l'ouvrière.

-Ah, évidemment... grinça Alice. Where is your boss? Answear quickly, or I'll pop your head off.

-P-p-Przepraszam... répondit une nouvelle fois l'ouvrière en polonais.

Ce n'était pas étonnant. La piste d'Ester leur avait appris que Léthée, le cadre du Réseau qu'Alice avait malencontreusement laissé échapper lors de leur précédente rencontre, s'était réfugié en Pologne. Et les locaux parlaient, en conséquence, la langue locale. Peu de chance que de simples petites mains chargées de reconditionner la drogue du cartel ne comprennent l'anglais, ou toute autre langue que la leur, d'ailleurs. Ou alors, ils se gardaient bien de lui révéler la moindre information. Mais Alice n'avait pas la patience d'attendre que Léthée se montre, ou qu'il glisse une nouvelle fois entre ses doigts. La meilleure chose à faire dans ces cas là était de frapper le Réseau là où cela faisait mal; au portefeuille.

Et puis, qui voudrait bosser pour une organisation qui laissait ses employés se faire tuer sans rien faire.

Alice sortit un large couteau, et entailla son bras en longueur, longuement, lentement. La panique se répandit parmi les ouvriers dérangés ainsi en plein travail. Plusieurs quittèrent leur poste, cherchant à s'échapper, s'éloigner, mais Alice se trouvait devant la seule sortie de l'entrepôt.

Le long fouet ensanglanté, parsemé d'épines, se forma rapidement sous l'impulsion d'Alice, et frappa la femme à qui elle venait de poser ses questions en premier lieu. Cette dernière s'effondra dans un cri, son sang teintant de rouge la poudre blanche qui gisait sur sa table.

-Rien de personnel. Se contenta de déclarer Alice, en se jetant sur une autre cible.

C'était une danse terriblement mortelle. Chaque nouvelle victime venait agrandir la réserve de sang qu'Alice avait sous son contrôle, formant une immense toile de lianes qui s'enroulaient autour de leur victimes, dont les épines perçaient leur chair, et qui les emportaient dans la mort. La demi démone n'avait aucune considération pour ses proies. Une seule lui importait. Le cadre du Réseau que les informations d'Ester plaçaient en ce lieu. Et les quelques armes sur lesquels les malheureux parvinrent à finalement mettre la main ne parvinrent pas à arrêter l'avancée sanglante et mortelle d'Alice.

-Çaaaaa suufffiiiiiit, demiiii démooone! S'écria une voix lancinante et traînante.

Un sourire apparut sur le visage d'Alice.

-C'est pas trop tôt... Léthée, c'est ça?

Le visage long et creusé de l'homme semblait, cette fois-ci, arborer une expression ennuyée. Son âge était toujours aussi indéfinissable, et sa tenue toujours aussi nonchalante, avec son t-shirt visiblement mal lavé et son jean à la couleur passée. Mais Alice ne se laisserait pas avoir par son apparence cette fois-ci. Elle n'avait pas oublié la façon dont l'homme était parvenu à éviter tous ses coups lors de leur précédente rencontre, semblant être capable de se téléporter pour esquiver. Il avait également mis Nokomis hors d'état de nuire en se contentant de lui souffler dessus. Cet homme avait des pouvoirs étranges dont Alice ne parvenait pas encore à bien saisir la nature. Mais la dernière fois, il n'avait pas tenté de lui faire face, et s'était contenté de s'échapper. Cela poussait Alice à penser que son adversaire n'était pas certain d'être en mesure de se mesurer à elle. Et elle comptait bien là dessus.

1000 mètres sous la surfaceOù les histoires vivent. Découvrez maintenant