Juste un verre

83 10 6
                                    

Lutz écrasa son klaxon avec toute la force de sa frustration, mais cela ne changea rien à l'embouteillage qui embourbait le périphérique lyonnais. L'inspectrice, fébrile, jeta un coup d'œil à l'heure indiquée sur son tableau de bord, le dernier d'une longue série. Une floppée d'injure s'échappa naturellement de ses lèvres pour abreuver les automobilistes qui l'entouraient mais ne l'entendaient pas, et étaient tout aussi immobilisés qu'elle. 

C'était un jeudi. Le jour de la visite à Tom. En temps normal, Lutz serait déjà à l'hôpital depuis au moins une heure. Tout le monde, au commissariat, savait que c'était un jour important pour elle, et ses états de services faisaient que son départ un peu plus tôt était accepté. Mais le travail n'avait pas cessé de s'accumuler durant la journée, et une intervention imprévue avait chamboulé tout le planning de la fin d'après midi. Ce n'était pas la première fois que cela arrivait, bien évidemment. Lutz ne pouvait pas s'attendre à ce que son travail cesse d'exister. Cela ne rendait pas l'expérience plus agréable, car un départ plus tardif signifiait l'heure de pointe sur la route, et peu de chance d'arriver avant la fin des visites. Lutz avait beau être une habituée, l'hôpital ne faisait pas d'exception pour elle. 

Après de longue minutes à batailler seule contre sa propre frustration, Lutz parvint finalement à se garer sur le parking de l'hôpital. L'endroit était presque désert, et les lumières du couchant venaient déjà teindre la façade blanche de teintes orangées. L'inspectrice courut à perdre haleine jusqu'à l'accueil - tenu, pour son plus grand bonheur, pas l'infirmière Mikayla, cette fois-ci. 

-Est-ce... que je suis encore dans les temps? Demanda l'inspectrice, entre deux bouffées d'air. Par pitié, Mikayla, j'ai eu une longue journée, et...

Mais Lutz connaissait déjà la réponse en voyant le regard désolé de la jeune infirmière. 

-Désolée, Madame Lutz. S'excusa Mikayla. J'aimerai bien pouvoir faire une exception, mais...

-Ne vous en faites pas, Mikayla. Soupira l'inspectrice en se laissant tomber contre le comptoir le temps de reprendre son souffle.

-Mais ce doit être tellement frustrant pour vous... insista l'infirmière. A quelques minutes près, j'aurai pu vous laisser rentrer... cette intransigeance sur les horaires est vraiment... vraiment...

-Ça ira, ne vous en faites pas. Je n'aurai qu'à passer ce week end.

-Je croyais que vous détestiez venir les week end. 

-C'est le cas. Soupira Lutz. Mais je peux bien faire ça pour mon petit champion, pas vrai?

C'est alors que Lutz croisa un regard qui commençait à lui être familier. Jenn venait de sortir d'un ascenseur tout proche, et, ayant remarqué la présence de l'inspectrice, semblait hésiter à se diriger vers elle. 

-On dirait que ma compagne de malheur a pu arriver à temps, elle. Soupira Lutz. Bonne soirée, Mikayla.

-Oh, ça ne risque pas, je suis de garde. Grinça la jeune femme, ce à quoi l'inspectrice répondit par un sourire compatissant avant d'aller rejoindre Jenn. 

-Bonsoir, Jenn.

-Bonsoir, Isabelle. Vous n'avez pas pu venir, aujourd'hui? 

-Malheureusement, non. Quelques imprévus au travail, les bouchons, et ça suffit à rater l'heure des visites. 

-Oh...

-Vous... avez réussi à lui parler? 

Jenn sembla hésiter. 

-J'ai espéré que vous arriveriez. Avoua-t-elle. Seule dans cette chambre, avec ces deux corps inanimés... c'est... étouffant. 

-Jill n'était pas avec vous, cette fois?

1000 mètres sous la surfaceOù les histoires vivent. Découvrez maintenant