Le tueur tué

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Un grand entrepôt désaffecté, au sud de Lyon, sur les berges du Rhône. D'extérieur, rien ne semblait particulier à propos de ce grand bâtiment, si ce n'était ses grandes vitres brisées et les quelques tags laissés ici par les artistes ayant eu la foi de marcher jusqu'ici. La végétation envahissait déjà les abords de la construction, s'immisçant au travers des plaques de béton et du revêtement en ciment, craquelé par l'âge et les éléments. Les poutrelles métalliques maintenant la toiture avaient la couleur caractéristique de la rouille. Au loin, on entendait le grondement distinct des voitures filant à toute allure sur l'autoroute, mais ce n'était qu'un bruit d'arrière plan dont la régularité ne venait pas briser la quiétude de la ruine. 

Quelques détails venaient cependant brouiller cette image paisible, laissant à penser à quiconque y viendrait que l'endroit n'était pas aussi innocent qu'il en donnait l'impression. Et ce furent ces détails précis que la silhouette qui venait de pénétrer dans l'entrepôt recherchaient. Couverte d'un long manteau, l'inconnue se baissa, et caressa la dalle de béton là où d'étranges marques semblaient avoir entaillé le sol. Comme les griffes d'une créature immense. Une créature immense qui aurait bien eu besoin d'un lieu aussi grand que celui-ci pour rester cachée. Preuve en était, l'odeur de soufre omniprésente, presque étouffante, comme si le cratère d'un volcan était en réalité caché sous les fondations de l'ancienne bâtisse industrielle, laissant échapper ses vapeurs à l'odeur putride. A laquelle se mélangeait une autre senteur à retourner l'estomac. Car le détail le plus frappant, à l'intérieur de cet entrepot, celui qui rester la preuve de son isolement et du peu de visiteurs qui lui rendaient visite...

Au centre de l'immense hall, sur une chaise semblant avoir subi les affres du temps, se trouvait un corps. En état de décomposition avancée. Les mouches voletaient autour de la chair en putréfaction, tandis que les vers pullullaient là où l'os n'était pas encore visible. Les cordes qui maintenaient le cadavre à la chaise étaient peut être la seule chose qui le maintenait encore debout, en un semblant de dignité, au lieu d'être répendu sur le sol en une flaque de chair et d'os sanguinolente. L'inconnue s'approcha. Avec une certaine réticence, tout de même. Mais vint tout de même se figer face à visage décharné du cadavre, et fixa ses deux yeux noirs comme la suie dans ces deux orbites vides, comme y cherchant une réponse que le cadavre était désormais incapable de donner. 

Jill resta immobile, quelques instants. Observant le corps qui se trouvait face à elle, comme ignorant la façon dont elle allait réagir. Dont elle devait réagir. Ou peut être avait-elle peur de laisser ses émotions s'échapper. Peut être craignait-elle qu'elles lui échappent de nouveau... et que le monstre qui sommeillait en elle ne se réveille. Mais il était plus fort. Un rictus lui échappa. 

-Comment on se retrouve, Dylan Zebros... railla-t-elle amèrement, tandis que ses yeux noircissaient de plus en plus, et que la température de la pièce diminuait. Tu ne voudrais pas me dire où se cache la salope de dragonne qui t'as fait ça, hein? J'ai un compte à régler avec elle.

Jill se passa une main tremblante dans les cheveux, cherchant à retrouver son calme. Elle n'arrivait pas à croire que tous ces mois d'enquête menaient à un cul de sac. Elle avait retrouvé la planque de Sheira... mais de toute évidence, la dragonne n'y était pas revenue depuis bien longtemps. Elle avait espéré y trouver au moins un indice, un signe, quoi que ce soit qui puisse la mener à celle qui avait tué Jenn... mais il n'y avait rien, ici. Rien d'autre que le cadavre d'un autre tueur, et cette maudite, horrible odeur de soufre. Tout était à reprendre à zéro. C'était comme si tout cela n'avait servi à rien. Une rage inextinguible bouillonna dans les entrailles de Jill. Les veinules noires jaillirent de ses yeux à l'instant où elle perdit le contrôle, arrachant la tête du cadavre qui alla s'écraser contre un mur plus loin. 

1000 mètres sous la surfaceOù les histoires vivent. Découvrez maintenant