Jenn frissonna légèrement en sortant du Nirvana. Le bar s'était bien rempli au courant de la soirée, et le brouhaha des étudiants et autres clients qui s'abreuvaient gaiment retentissait dans la petite rue. La brune avait du mal à rester à l'intérieur de l'établissement, désormais. A voir cette joie communicative, partagée d'humain à humain autour de pintes de bière et de cocktails colorés. Elle avait toujours eu du mal à accepter que l'on puisse vivre de manière aussi insouciante... toujours? Non... elle n'avait pas toujours été aussi aigre. Cela remontait en réalité à la disparition de Satan, elle en était bien conscience. Et ce ressentiments envers ces clients innocents n'était rien d'autre qu'une jalousie maladive, alimentée par sa propre dépression. Il n'était pas rare qu'elle parte plus tôt, lors des réunions du samedi après midi, dans le temps. Dès que les premiers clients du bar commençaient à arriver, elle s'éclipsait discrètement, parfois sans même prévenir ni Jill, ni Alice. Et c'était dans cette solitude auto-infligée qu'elle retombait dans le travers qui lui faisait pourtant oublier, l'espace d'un instant, à quel point sa vie était dénuée de sens.
La drogue continuait de roder au dessus de l'épaule de Jenn. Plus de dix ans d'addiction ne pouvaient s'envoler aussi facilement, et la brune en était particulièrement consciente. C'était toujours un cycle, alternant phases calmes, et phases où elle ne pouvait s'en passer, lorsque la dépression revenait frapper plus fort. Et jamais n'avait-elle été aussi violente qu'après l'attentat du Véloce. Pourtant... cela faisait presque un mois que Jenn n'avait plus touché à la moindre substance. Elle avait failli céder, quelques fois, c'était vrai... mais elle n'avait jamais franchi de nouveau cette ligne rouge, qu'elle avait pourtant piétinée avec tant de facilité autrefois. Qu'est ce qui avait bien pu changer, cette fois-ci? Etait-elle plus forte? S'était-elle habituée à l'addiction? Non, rien de tout ça... Jenn tourna la tête vers la raison centrale qui lui permettait de rester clean.
Isabelle Lutz marchait à ses côtés, dans le silence nocturne de cette nuit d'août, son regard résolument fixé sur le sol face à elle, plongée dans l'une de ses profondes réflexions dont Jenn hésitait toujours à la tirer. Ses magnifiques boucles rousses, parsemées de gris, cascadait jusqu'à ses épaules, et son large manteau noir semblait un peu trop épais pour la toute relative fraicheur de cette soirée d'été. Jenn sentit la commissure de ses lèvres se relever malgré elle. Isa... rien ne l'avait forcée à l'aider. Rien ne l'avait forcée à lui parler, à se soucier d'elle, de sa famille, de sa santé, de ses addictions. Et pourtant... elle était là, à ses côtés, encore maintenant. A la maintenir loin de la drogue, comme elle le lui avait promis, à agir comme un bouclier contre les démons du passé de Jenn. Enfin... en réalité, c'était plus que ça. Ce n'était pas juste parce que Isabelle lui avait promis de ne pas la laisser rechuter que la brune n'avait plus été tentée par l'aiguille.
C'était à cause des propres sentiments de Jenn à son égard. Jenn, qui avait aimé, aimé beaucoup trop, aimé à en mourir Satan. Jenn, qui avait été détruite, réduite en poussière par son départ, par sa fuite, même, sa disparition dans la nuit. Jenn, qui n'avait jamais cru pouvoir aimer qui que ce soit d'autre... ni être aimée de qui que ce soit. Qui en était venue à se demander si sa vie avait la moindre utilité, la moindre valeur. Si, au fond, être née n'avait pas été sa pire erreur, une erreur sur laquelle elle n'avait même pas le moindre contrôle. En finir, elle l'avait contemplé. Souvent. Quand la vie était trop dure, la tristesse infinie, et que son inutilité était telle que c'était sa propre fille, à peine d'âge de raison, qui devait prendre soin d'elle, Jenn ressentait que sa présence n'était rien de plus qu'un poids. Une tare. Mais, paradoxalement, c'était aussi parce que Alice en faisait autant pour elle que Jenn s'était toujours résignée à reposer la lame du rasoir. Sa petite fille... sa chérie... son joyau... si elle venait à disparaître, à son tour, que lui resterait-il donc? Jenn ne pouvait pas se résoudre à partir en sachant à quel point son bébé en serait blessée, déchirée, torturée, tout comme elle avait elle même été blessée, déchirée, torturée. Alors, la brune avait pris sur elle... et accepté la douleur, la tristesse, le poids de sa dépression, pour sa fille. Et la drogue lui permettait de tenir le coup. Puisque personne ne l'aimerait jamais de nouveau, elle pouvait bien faire l'effort d'aimer, tout de même.
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1000 mètres sous la surface
Misteri / ThrillerUn groupe d'ami soudé comme une famille. Une petite croisière en Méditerranée. Et une tragédie meurtrière, qui frappe, sans se soucier de ceux qui restent. Mais pourquoi? Pour quelle raison le destin a-t-il frappé ces jeunes gens au destin si radieu...