DIE TO BORN [Édition Séoul] - TERMINÉE

BALLE 10 (c)

10.

Jug-Eun hésita devant la carte pourtant épurée de ce café à la mode, la capitale regorgeait de cafés à thèmes ou cherchant à être aesthetics afin que les gens s'y rendent pour poster quelques photos sur instagram. Elle ne savait pas quoi choisir parmi les noms farfelus des différentes boissons. Le seul qu'elle reconnaissait sans se poser des questions sur la composition était l'Americano, quoi que le cappuccino aussi entrait dans son vocabulaire. Certes elle possédait un faible champ de connaissances concernant les liquides colorés tendances dernièrement mais elle pourrait largement faire une dissertation sur les différentes drogues, comment les préparer, quels en sont les effets et le cours de leur prix.

Seo quant à lui se disait qu'il aurait dû vérifier le lieu avant d'inviter la jeune femme ici. Il avait seulement vu que c'était un lieu populaire dernièrement et n'avait pas songé à vérifier si cela convenait réellement pour un rendez-vous. Car le café était plutôt côtoyé par des lycéennes. Il avait peur que cela ne gâche l'ambiance :

- Si vous enfin si tu veux, nous pouvons changer de lieu.

- Et bien, nous pourrions peut être simplement prendre un Americano et le boire sur les bords de Han River.

- Oui très bonne idée. En plus, il fait ...

Il suspendit sa phrase alors qu'il tournait sa tête vers la baie vitrée de l'endroit, des nuages assez épais et d'une couleur assez sombre avaient coloré le ciel clair. Et de fines gouttes commençaient à envahir la capitale coréenne. Il ne put contrôler son expression faciale, laissant trahir sa déception. A priori cette journée n'allait pas se dérouler comme il l'espérait.

Elle remarqua l'air maussade de son compagnon et eut un petit sourire amusé, elle se leva et passa commande au comptoir afin de signifier qu'ils prendraient finalement leur commande à emporter. Seo l'observait faire alors qu'il cherchait un plan B à ce qu'il avait initialement prévu. Sa personnalité en dehors du travail ne collait pas du tout avec un agent du N.I.S. En tout cas pas un agent aussi prometteur que ce qui se racontait dans les couloirs des affaires intérieures. Au point que ça en était presque douteux. Comment un homme aussi doux, pas très organisé et un peu naïf pouvait-il faire parti de ce groupe d'élite ? Ou alors avait-il deux côtés distincts de personnalité selon s'il était en fonction ou non ? Un peu comme elle finalement ? Car derrière chaque sourire, se cache des crocs affutés.

- Seo-ssi ! Viens.

Il fut tiré de ses pensées alors qu'elle franchissait le seuil du petit commerce, il récupéra précipitamment sa veste afin de la suivre. Sortant sous la pluie fine de la mi-saison, il s'abrita partiellement de ses mains au dessus de sa tête. Il regardait Jug-Eun s'avançait sous l'eau, ses gobelets à la main. Elle lui souria avec douceur :

- Es-tu un chat pour craindre un peu d'humidité ?

Il ria et récupéra le contenant en carton qui lui était destiné, afin de lui libérer une main. Il prit une gorgée et lui répondit avec humour :

- Je pense que je suis plutôt un chien.

Oh oui, à ses yeux faussement tendres, il était un bon petit canidé, agitant la queue devant l'Etat. Il était le parfait limier cherchant à mordre les "méchants". Mais comment lui en vouloir personnellement ? Elle faisait la même chose de ceux de son clan. Elle en faisait de bons et dociles chiens, un élevage discipliné pour obéir au propriétaire. Autrement dit : elle.

Jug-Eun se demanda pendant un court instant si elle pouvait faire de lui un autre de ses toutous ou si les croquettes fournies par le N.I.S. étaient meilleures. Était-il un homme rempli de convictions ? Ou un homme d'argent ?

Ils se rendirent sur les bords du fleuve, vidés du monde habituel en raison de la météo capricieuse. Elle posa sa boisson sur un banc vide et s'avança sur les quais tout en chantonnant une comptine populaire. Seo était amusé par le comportement presque enfantin de la jeune femme, elle sautillait tout en faisant attention à ne pas chavirer :

" Arirang, Arirang, Arariyo

Je traverse le col Arirang.

Celui (celle) qui m'a abandonné(e) (ici)*

Ne pourra pas marcher pendant dix li avant que ses pieds ne soient blessés. "

Une chanson connue mais quand on se penche sur les paroles, était-elle adaptée pour les enfants ? L'agent était attendri par la personnalité tout à fait charmante de Jug-Eun, il pourrait la regarder danser et chanter sous la pluie pendant des heures sans se lasser, quitte à attraper un rhume.

Seo avait eu, comme il est couramment appelé : un coup de foudre. Il avait croisé plusieurs fois l'ancienne secrétaire au ministère mais avant même que la mafieuse ne se renseigne et ne se penche sur sa personne, l'agent avait déjà fait quelques recherches sur elle. Au point de l'avoir photographié dans certaines filatures, au point où il la connaissait déjà.

Les apparences sont trompeuses et Seo est un joueur des plus expérimentés dans cela, tout autant que Jug-Eun. Il fallait se demander, à quel point il avait gratté la couverture de la jeune femme. Il ne devait pas en avoir découvert beaucoup puisqu'il était en ce moment à ses côtés, à profiter du temps qui s'écoule avec elle. Car il espérait plus, il espérait quelque chose avec elle.

Était-il tombé amoureux de la fausse image de la jeune femme ? Enfin serait-il amoureux de Jug-Eun sans savoir qu'elle cachait Mee Na ? Cependant qui désigner pour dire qu'il s'agissait de la "vraie", n'était-ce pas simplement une dualité complémentaire ? Même elle ne pouvait pas le dire avec exactitude, derrière chaque mensonge se cache une demi-vérité teintée.

Finalement il posa sa boisson et lui tendit sa main, s'inclinant légèrement devant elle :

- M'accorderas-tu cette danse ?

Il lança de sa main libre sur son téléphone, une musique classique de violons. Elle ria sincèrement et accepta cette main tendue.

Alors sous un début d'orage, là où les gens lambdas courraient s'abriter, cherchaient à rentrer chez eux, se protégeaient avec leur parapluie, un magnifique couple dansait une valse improvisée. Ne rentrant ni dans les codes, ni dans le tempo.

Mais ils s'amusaient de cette douce absurdité, oubliant leur fonction. Oubliant chacun leur objectif divergent et pourtant se heurtant.

Au loin, dans une voiture aux vitres noires, un homme dans un costume de luxe hors de prix, observait la scène. Serrant le poing, jalousant leur proximité. Se demandant si désobéir pourrait entraîner une punition qui serait plus désagréable que de regarder ce spectacle dégoutant à ses yeux. Après tout, s'il tuait cet agent, il faudrait tout recommencer.