BALLE 26 (c)

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26.

Séoul : Villa des Kim - Mee Na 8 ans (2003)

La petite fille regardait sa mère chantonner une musique populaire, dansant pieds nus sur le sol carrelé de la grande cuisine marbrée. Assise sur l'un des tabourets en hauteur, elle ne cessait pas de fixer sa génitrice saigner sans s'en préoccuper. Car dans le désordre immense qui régnait dans la pièce, la danseuse était comme sortie d'un spectacle de ballet. Dans sa douce folie, la douleur des bouts de verres qui s'enfonçaient dans sa chaire n'avait pas l'air d'exister.

L'enfant n'osait pas émettre de son, elle avait appris que s'effacer lui permettait de se faire oublier de la part des adultes. Et il en était mieux ainsi en voyant celle qui devait s'occuper d'elle.

Mee Na fut surprise quand elle sentit son visage compressé entre les doigts de sa mère, l'ancienne prostituée planta ses yeux perdus dans les méandres de l'alcool dans ceux de sa fille, elle souffla son haleine chargée dans le nez de l'enfant en ouvrant seulement la bouche sans rien dire. Elle cherchait probablement les mots ou la force d'articuler.

La prise se resserrait et Mee Na avait mal à la mâchoire en plus d'être dégoûtée par l'odeur du vin. Légèrement effrayée par les actions aléatoires de sa mère.

- Peut être qu'il viendra si tu es malade.

Elle enfonça d'un coup deux doigts dans le gosier de la petite, qui ne chercha pas à se débattre, elle savait qu'elle devait endurer cela pour que tout se termine au plus vite. Car c'est ce qu'on lui avait appris : " Choisis tes batailles, si tu ne peux pas gagner, amadoue ton ennemi "

Cependant Mee Na ne put empêcher son corps de répondre à l'intrusion, elle sentit sa bile remonter et brûler sa trachée alors que la nausée la rendait malade. Des larmes perlèrent aux coins de ses yeux et elle sentit quelque chose couler dans son gosier.

Qu'est-ce qu'elle pouvait bien lui verser ? Quelque chose qui sans aucun doute, nécessiterait la venue du médecin de la pègre. Ce dernier préviendrait forcément le chef de la mafia qui était le père de la jeune fille. Car c'est tout ce qu'il avait en commun avec la mère de Mee Na. Il n'avait jamais épousé cette dernière légalement et depuis qu'elle avait accouché, il semblait ne lui prêter aucune sorte d'attention. Donnant le peu d'amour dont il était capable au monopole de sa fille.

Mee Na passa donc la nuit à vomir sans que sa mère ne vienne s'occuper d'elle, c'est seulement qu'au bout du 3eme renvoie que Ha-Neul, tout en regardant sa progéniture s'étouffer avec un liquide jaunâtre, qu'elle appela le médecin.

Dès que les tonalités laissèrent place à la voix endormie du professionnel de santé, l'ancienne prostituée se mit à pleurer, feignant un désespoir accru car soit disant inquiète de l'état de son pauvre enfant fragile.

- Ne meurs pas stupide chose.

Séoul : Villa des Kim - Mee Na 9 ans (2004)

- Tu as bien retenu ma chérie ?

Mee Na hocha la tête et pointa son arme à feu droit devant elle, le bras tendu. Elle n'hésita pas à appuyer sur la détente, provoquant un bruit étouffé mécanique.

Elle fut presque déçue de voir que le pistolet n'avait pas été chargé au préalable.

Tae-Yeong se mit à rire et ébouriffa les cheveux noirs de jais de son apprentie.

- Ce pauvre chat serait mort si j'avais laissé les balles dans le chargeur.

Un félin au pelage de la même couleur que la chevelure de la tireuse lézardait dans le jardin sans savoir que la mort l'avait regardé d'un œil dans un viseur.

- Je sais.

Le patriarche ne fut pas surpris de cette réponse peu commune venant d'un enfant, même d'un enfant venant du milieu aussi sale qu'est la mafia.

- Est-ce que Ha-Neul te traite bien ?

Non, dès que les hommes de son père n'étaient plus présents, dès que son tuteur partait, que la maison se vidait, la femme censée être responsable, devenait un déchet humain traumatisé par la vie. Mal menant sa fille, la voyant comme l'objet de sa condamnation dans cette cage dorée où elle dépérissait lentement sans que personne ne s'en soucie.

Pourtant Tae-Yeong l'avait vraiment aimé, au point que les plus insensibles aient versé une larme ou ressenti de l'admiration envers leur histoire incroyable. Alors qu'est-ce qui avait brisé ce conte de fée ? Pourquoi se retrouvait elle enchaînée dans une maison hautement gardée sans aucun droit d'en sortir. Sa fille lui avait elle tout volé ? Même si Ha-Neul avait pu sortir du réseau de proxénétisme dont elle avait été employée, même si elle avait pu s'élever financièrement parlant, elle était devenue un trophée qui prend la poussière. Un trophée dont on s'extasie un temps devant avant de l'oublier.

Quand l'amour de sa vie venait dans la résidence, il ne se préoccupait que de sa chère et tendre unique descendance.

- Oui.

Si elle se plaignait auprès de son père, il allait sévir auprès de Ha-Neul et cette dernière allait se venger encore et encore, de manière perfide et immature.

Tae-Yeong hocha la tête :

- Ton professeur particulier m'a dit que tu es une très bonne élève. Que tu apprends vite. Mais tu sais ce que je te dis toujours ?

- Être la meilleure est le but des autres, pour moi c'est le minimum.

- Très bien. Je t'ai trouvé le parfait animal de compagnie. Il s'appelle Miho.

- Je pourrais faire ce que je veux ?

- Oui. Il me fait penser à un chat.

- Je n'aime pas les chats.

Il se mit à rire, sa fille était atypique il devait le reconnaître. Il avait déjà avoué à lui même que son héritière était parfois effrayante par le manque d'émotions et d'empathie dont elle faisait preuve. Mais le bilan était que cela était un avantage pour elle, pour la préparer à la cruauté du monde. Elle devra simplement apprendre à feindre un semblant de normalité pour éviter le jugement des autres si elle souhaitait ne pas attirer l'attention. Cependant si elle plongeait entièrement dans les traces de son prédécesseur alors elle n'avait pas besoin de s'endurcir mentalement, c'était déjà fait.

- Alors fais en un bon chien.

- Je comprends papa.

- Je vais y aller. Répètes moi la devise.

- Le clan prime, l'honneur est notre richesse.

- Et celle des Kim ?

- Laisser vivre un ennemi est un luxe de pauvre.

Séoul : Villa des Kim - Mee Na  10 ans (2005)

Alors c'était lui ? Celui qui allait sacrifier son âme, son corps, sa vie pour elle ?

Elle observait de loin ce petit garçon qui ressemblait à un félin, un adorable félin. Couverts de bleus et de cicatrices.

- Ses parents ont une dette énorme envers l'Organisation. Ce soir, tu les tues. Tu sais pourquoi ?

- Parce qu'il est à moi.

DIE TO BORN [Édition Séoul] - TERMINÉEOù les histoires vivent. Découvrez maintenant