- Salut belle gueule !
Et allez, encore une qui est venue me mater !
Tous les jours, elles viennent pour faire ma toilette, plusieurs fois par jour. Je n'ai jamais été si propre ! Alors que, honnêtement, ce n'est pas le niveau d'activité que j'ai en ce moment qui justifie qu'on me passe un gant sur le torse, plusieurs fois par jour. Si ce n'est pas pour ma toilette, c'est pour autre chose, tout prétexte est bon pour me voir.
Parfois, elles viennent à deux et parlent de moi. Elles tentent de deviner comment est ma voix, comment j'embrasse, comment je caresse, comment je fais l'amour. Oh si vous saviez ! Je ne fais pas l'amour moi. Non. Je baise ! Pour faire l'amour, il est essentiel d'avoir des sentiments. Or, ça, ça ne m'est jamais arrivé. Enfin si, ça m'est arrivé une fois, au lycée. Mais bon, c'est de l'histoire ancienne. Ce n'est pas pour moi ces trucs de sentiments et d'émotions.
Elles supposent toutes que je suis célibataire, car aucune potentielle petite amie ne vient me voir. Mais qu'est-ce que ça peut leur faire ? Même si c'était le cas, est-ce qu'elles se retiendraient de venir dans ma chambre malgré tout ?
L'aide-soignante entrée dans ma chambre s'approche de mon lit. Je le sais, car j'entends son chariot à roulettes. Puis, j'entends un bruit d'eau. Elle doit être en train de préparer son éponge pour me laver, encore une fois.
- Tiffany, qu'est-ce que tu fais encore là ?
Ah ! Voilàma Sauveuse. Je reconnaîtrai sa voix entre mille autres.
- Je fais mon travail.
- Non Tiff, la toilette des patients, c'est le matin.
- J'ai cru comprendre que l'équipe du matin n'avait pas eu le temps de faire tout le monde. J'ai dû être mal briefée.
- Tu vas me la sortir à chaque fois cette excuse ?
Je m'imagine que l'autre a compris le message, car j'entends qu'elle s'éloigne. Merci mademoiselle de venir me sauver à chaque fois. Je crois que cette Tiffany, c'est la pire de toutes. Non seulement, elle ne se gêne pas pour regarder sous les draps (je le sais, car je l'entends se soulever), mais, en plus, je la soupçonne d'avoir les mains baladeuses. Je suppose même qu'une fois, elle m'a embrassé les pectoraux. Une vraie folle ! Elle me ferait presque flipper.
Je ne sais pas depuis combien de temps, je suis dans ce lit endormi. Je sens une gêne dans la gorge, un truc à l'intérieur. Je suppose que je suis intubé. J'ai cru comprendre que je suis dans le coma. C'est ce que m'a expliqué celle que j'ai affectueusement surnommée « ma Sauveuse ».
Chaque fois qu'elle vient me voir, elle me parle. Mais elle, contrairement aux autres, reste respectueuse et professionnelle. Elle prend ma tension, surveille mon rythme cardiaque, ouvre mes paupières.
Je sens ma conscience revenir à la surface progressivement, mais je ne parviens pas encore à bouger. Selon les médecins qui me rendent visite tous les jours, je suis en phase de réveil, car les machines autour de moi montrent une activité cérébrale. Il est vrai que j'entends constamment des bips à côté de moi. Ce doit être de ces machines dont ils parlent. Parfois, ces bips s'accélèrent, surtout quand je cogite dans ma tête.
Mais chaque fois que ma conscience a un sursaut d'animation, je réalise que je me rendors assez rapidement.
Je ne sais pas comment je suis arrivé là. Tout ce que je me souviens, c'est que j'étais sur ma moto, sur une route de campagne, à profiter des premiers beaux jours du printemps. Depuis, c'est le trou noir.
Tous les jours, je sens une présence familière près de moi, qui pleure de temps en temps, silencieusement. Souvent, elle me parle. C'est ma mère.
Je n'ose imaginer la souffrance qu'elle ressent à me voir, inerte, dans ce lit. Mais lorsque j'entends les sanglots dans sa voix, je réalise que c'est éprouvant pour elle. Quand elle me parle, elle m'implore de revenir, de me réveiller. Elle me parle également de mon père, décédé, de la fierté dont il témoignait lorsqu'il parlait de moi à ses amis. Elle me parle également de sa meilleure amie, qui la soutient énormément dans cette épreuve, comme elle dit.
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Le Patient
RomanceIl l'entend, mais il ne la voit pas. Elle lui parle, mais il ne peut pas lui répondre. Il sent son parfum délicat flotter dans l'air, mais il ne peut pas la toucher. Le coma, cette prison invisible, l'enferme dans un monde où ses sens sont piégés en...