Prologue

105 19 3
                                    

Certains naissent avec la tragédie dans le sang. Le mien coulerai au moindre choc et j'abrégerai le bourbier dans lequel je traînais jusqu'à ce que je ne perde pied. On meurt et on nait seul. Je suis seul. Et personne que je ne connaisse ne comprendra.

« Est-ce que tu penses que des gens sont choisis ?

-Qu'est-ce que tu veux dire ?

-Pour vivre, mourir. Être bien, ou seulement souffrir. », réfléchissait l'écrivain trop profondément.

Ce jour-là, j'ai simplement rassuré Evan et nous divaguions déjà ailleurs. Il pensait trop sépulcral pour lui alors je coupais ses élans sombres. Maintenant, en m'éloignant de tout, je me regarde. En n'étudiant qu'une face de l'autre côté, je comprends qu'il y a une chance pour que je n'ai jamais été fait pour être bien avec mon sourire surfait digne d'un film sans fin minable. Sans grands dilemmes ou le moindre conflit.

J'étais un idiot. On ne revient pas en arrière. On n'efface pas nos regrets. Ni même nos remords. Rien ne dure pour toujours. Les moments n'en seraient plus si on leur retirait leur durée. D'un seul coup, les pensées parasites me contaminent. Elles me contraindraient à avaler une mer de honte mais je me noie déjà.

Pourtant, j'aimerais les rencontrer encore. Mes complices. Sam. Evan. Ollie aussi. J'ai connu Sam le plus tôt et je le revois essayer de s'étirer jurant que sa colonne craquerai et qu'il arrêterait de subir son dos. En vérité, il ne parvenait jamais à se tenir droit alors je lui faisais remarquer à chaque fois que cette mauvaise habitude le reprenait. Elle lui venait de son art, celui qu'il maitrisait le mieux. Il s'appliquait tellement qu'on ne le voyait plus qu'avec des pansements sur les bouts de chaque doigt.

D'abord, je détestais Ollie mais j'ai appris à l'apprécier par ses gestes. Surtout lorsqu'elle jouait avec ses boucles. Apparemment ce simple bruit métallique et léger la rassurait. Elle les mettait en valeur ; s'assurant toujours de relever quelques mèches derrière ses oreilles. Lors de l'unique Noël qu'on passa ensemble, c'est elle que j'avais tiré au sort alors je lui en avais acheté d'autres ; conseillé par la petite copine d'un ami. A son regard lumineux, je m'apercevais que me méfier d'elle semblait subitement stupide ; Evan avait raison. — « Tu perds ton temps à haïr ce que tu ne connais pas. », me persuadait-il. Je me confiais à lui et Sam à la moindre incertitude, sur le flou autour d'une personne, comme elle. Visiblement je me trompais et ma fierté ne s'éclata pas. —

Cette même nuit de décembre, je fumais dehors et elle se joigna à moi, je m'attendais à ce qu'elle m'adresse des mots sympathiques, que j'aurai jugé excessivement mielleux mais elle saisit :

« Tu ne m'apprécies pas hein ?

-T'es directe.

-Donc ?

-On ne te cache rien à toi ?

-J'ai l'œil, je prends des photos, tu sais ?

-Sorcière.

-Une sorcière dont t'es jaloux. Le pire c'est que je sais lire les cartes du tarot. »

On riait, la neige ne tarda pas et le fanatique d'hiver, Sam, se précipita contre la fenêtre. Je lui avouai : « Je commence à t'apprécier, j'ai cet horrible tendance à garder à l'œil les gens que je ne parviens pas à cerner immédiatement mais tu n'as rien de mauvais. »

Je suppose qu'une amie est une amie même si nous savons tous comment nos chemins se sépareront. Je doutais d'elle pour rien. Parce qu'en fin de compte que je n'ai rien à prouver.

Je continue d'entendre le craquement des doigts d'Evan, comme un écho. Sam râlait qu'il finirait avec de l'arthrose avant trente ans, je rabâchais que lui se bloquerait le verso ou développerait une scoliose le premier. Ollie se mordait la langue, amusée, ratant le chewing-gum que je lui fournissais, je m'en trimballais toujours un paquet et Evan riait, couvrant ses dents, profitant du joyeux massacre. Il réajustait souvent son col de chemise quoique je lui assure. Il ne s'imposait jamais, probablement un problème d'écrivain mais dégageait tout de même une certaine classe.

Lui détestait garder les ongles longs et préférait les couper, je ne m'empêche pas de me les ronger, cédant à la moindre impulsion. Toujours celle qui m'oblige à apporter des pièces de gommes, peu importe la situation. Parce que je ne suis pas parfait. Je camoufle l'odeur du tabac qui se colle à moi, lui la détestait, comme Ollie et Sam d'ailleurs. Ils désapprouvaient, je promets que j'ai écrasé la dernière cigarette consumée à moitié.

Les yeux ouverts à demi je songe au temps qui file, à ce qu'il me restait. Les dernières minutes sont écoulées et je le regretterai. Si nos histoires étaient tracées alors nous n'étions faits que pour se rencontrer, pas rester et s'éterniser.

— Couchés au beau milieu des prés, sortit droit de nulle part, je leur partageais :

« A la fin de la journée, c'est juste nous et le ciel bleu à l'horizon.

-Paul, t'es bourré ?

-Non Sam, je suis un poète. », je rêvais, envisageant le futur, allongé contre l'herbe.

Mon existence me donne le plus violent des maux de têtes. Parce que je me rappelle tout. La douleur de vivre. La peur dans mes yeux. Mes mains gelées quand je suis tombé. Ce sifflement dans mes oreilles, plus un son indescriptible.

J'avais l'habitude d'affirmer que sans risques, nous n'écrivions pas nos histoires mais je suis allé trop loin. Affalé contre le sol et personne ne me relèvera. Pas même moi.

On se noie sous les vagues des mots jamais prononcés. Mes mains sont encore froides. Mon cœur m'a lâché. Je suis mort. Et je ne reviendrai pas. Je ne veux pas m'en aller.

Juste nous [En Réécriture]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant