Comprendre

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Un coucher de soleil brûle nos yeux, nous arrache des larmes. Je ne devrais pas tarder à filer mais je cherche m'assurer que tout ira bien. Peut-être qu'il n'y a pas de bonne réaction dans des moments pareils, j'aimerai pouvoir vraiment aider. — J'ai connu des après-midis toutes aussi pleines de joie. J'aurai préféré en profiter davantage mais le temps impacte toutes les photos.

L'un d'eux nous partagea :

« Les échecs nous font avancer.

-Dans le sens progresser ?

-J'imagine.

-Sam qui se la joue poète abstrait, se moqua Paul.

-Quand tu philosophes, on dirait que tu délire ! je le défendais.

-Voilà, tu ne peux pas me juger !

-J'exagère souvent, mes phrases sonnent mieux. La tienne laisse plusieurs interprétations possibles : devenir une meilleure personne ou régresser.

-Oui, j'ai bien décrit l'humanité.

-On change tellement au cours d'une existence.

-Là, c'est intéressant. » Il admit.

L'herbe mémorisait nos corps écrasés contre le sol, aux yeux de Paul, casser oralement l'autre ne signifiait rien, comme un jeu, son humour se résumait à taquiner. Son caractère lui va bien parce qu'il est Paul, qu'il n'employait pas que des mots sérieux, il se suffisait, équilibrait son comportement avec son empathie même s'il ne le montrait pas franchement. Le monde l'émerveillait la plupart du temps et sa vision était particulière.

Converser avec ce type c'est une expérience.

— Il est tard mais j'ai suivi Sam, la semaine a recommencé, le ciel s'illumine aux mêmes teintes que ce dimanche. Il m'a proposé de graver un disque puisqu'il s'ennuyait et que je m'acharnais à retarder mes révisions.

« Je voulais me lancer dans une collocation avec Paul mais il n'est pas venu signer les papiers et je ne suis pas franchement riche donc on se contentera de squatter chez mes parents. » Il m'annonce. « Je comprends, moi, j'ai une place dans les dortoirs universitaire. » je lui indique. « Ce serait sympa une collocation tous ensemble. » il lance. Son idée m'intéresse, je me demande si on marcherait comme des colocataires.

Il insère le CD dans un lecteur, on s'aide de nos notes, on en parlait depuis un moment, nos goûts sont similaires. « Avec ce qu'il nous tombe dessus, on l'utilisera souvent dans ma voiture. » il suppose. « J'espère ! Entre deux indices. » je songe. On ajoute des musiques, chantant les rythmes puisqu'on ne connaissait pas toutes les paroles. Personne d'autre ne comprendrait nos rires.

— Je me suis enfuie quelque part où personne ne connaissait mon nom. « J'ai su qu'il fallait partir quand la ville commençait à me dévisager. » je réponds, lundi soir à Evan, au téléphone. — Je me retourne dans mon lit, inquiète, sa question n'avait rien d'anodin.

Je m'habille, le soleil ne tardera pas à se lever, j'ai étudié jusque tard, je surmonterai mon insomnie avec une boisson énergisante ou comme Paul préférait : avec du thé. Les lampadaires ne tarderont pas à me lâcher lorsque le jour se pointera sans invitation.

Mon instinct ne se trompait pas, je distinguais une nouvelle fois Evan, tout en haut de son immeuble, il se rapproche du vide. « Ne fais pas ça ! » je lui hurle. « Eva ? Je ne compte pas sauter ! » il assure. « Je peux monter ? » je demande. « Nous sommes dans un pays libre ! » il accepte indirectement.

Une nouvelle fois, je lui tiens compagnie, sur ce toit. Il est assis près du bord, je le rejoins :

« Qu'est-ce que tu fabriques là, à une heure pareille ?

-Je pourrais te poser la même question.

-Notre appel, tes questions étaient étranges.

-J'écris, je suis quelqu'un d'aléatoire. Là, j'avoue que je pensais à Paul quand je t'ai demandé la raison de ta fugue.

-Qu'est-ce qu'il est chiant à nous manquer.

-Tu marques un point.

-Et du coup, qu'est-ce que tu fiches ici

-Rien de mortel, j'admire les levers de soleil.

-Tu l'attends souvent ?

-Seulement quand je ne parviens pas à trouver le sommeil. Donc oui. Paul trouve le ciel poétique, je suis de son avis. D'ailleurs, il n'existe pas un terme en photographie en rapport avec ce moment ?

-L'aube est une autre heure dorée, on l'appelle aussi 'Magic Hour'. Je parie que tu préfères le crépuscule nautique, c'est l'heure bleue.

-C'est vraiment profond. J'imagine que l'heure bleue me correspond mieux. Je ne m'attendais pas à ce que tu sois aussi calée, bravo, tu connais ton sujet.

-C'est quelque chose qui me passionne, évidemment que je veux le maîtriser, merci. »

On contemple l'atmosphère changer, silencieux, occupés à ravir nos visions. J'avoue que j'ai omit les détails les plus sérieux à propos de mon départ, il s'intéresse à nouveau à mon histoire alors je déballe :

« Mon père était un boulet à qui on m'associait.

-Les gens te regardaient mal à cause de lui ?

-En quelques sortes. Il m'accusait de la fuite de ma mère ; je n'ai aucune idée de ce qu'elle devient, de si elle est en vie ou non.

-Tu suivais sa trace ?

-Oui mais j'abandonne. Ce n'est pas réellement courageux de ma part.

-T'es dur, tu te débrouilles, livrée à toi-même depuis quelques années, passant d'un endroit à l'autre, recherchant ce que tu voulais réellement. Je crois que ça, c'est brave.

-Je me voyais plus comme quelqu'un qui échangeait les problèmes contre un coin de paradis, je me percevais comme une personne lâche. Je te remercie Evan. »

Quelques fois, ce n'est qu'une question de point de vue. Ma mère serait fière si elle me connaissait, elle a préféré m'abandonner. Elle ne reviendra pas sur son choix désastreux.

—D'autres fois, j'ai l'impression qu'on me cache quelque chose à cause des comportements de Sam vis-à-vis d'Evan. Parfois, leurs interactions ne ressemblent à rien d'amical puis ils agissent comme des frères. — Il pleuvait ce lundi, on se retrouvait dans un coin où on n'éviterait pas la foule, Sam se plaignait :

« Ça craint, je ne verrai rien sur la route.

-Tu comptais prendre la route avec ce temps ?

-Plus maintenant. Je voulais éviter certains cours, j'ai du mal à bosser ces derniers temps.

-Le brouillard m'inspire la liberté.

-T'es vraiment bizarre Evan, il le rembarre.

-Ferme-la et admire.

-D'accord, j'avais tort, c'est beau, il admet. Dis, je pourrais m'incruster dans tes cours ? Les salles sont grandes.

-Pourquoi pas. » Accepte Evan.

Ces attitudes passives-agressives au fond bienveillantes me hurlent audiblement qu'une partie me manque, que là, nos vies sont différentes et que ce n'est probablement pas uniquement due à ce moment où Sam l'a aidé à ne pas s'effondrer.

Je remarque mais je me tais et prétends ne pas le voir.


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