Chapitre 25

1.4K 82 13
                                    

Ellyn

Plantée devant lui, je ne sourcille pas. Même si dans ma tête une sorte de rébellion se lève.

Est-ce qu'il est vraiment en train de me faire ce coup-là ? Il me fait vraiment du chantage ?

Pour donner le change, je termine de soigner sa lèvre les sourcils froncés. Est-ce que j'ai envie de lui parler de ça ? Oui, sans vraiment comprendre pourquoi. Pourtant, une part de moi me souffle que je ne le connais pas plus que ça et qu'il pourrait aller balancer mon secret au premier venu. L'autre part de moi, la plus curieuse, celle qui désire le connaître davantage, me chuchote que c'est le meilleur moyen d'y parvenir.

Une réponse en échange de la sienne.

Ça me paraît équitable. Seulement, je n'aurais pas dû lui poser cette question. Même si je meurs d'envie de savoir comment il a appris que j'avais la sensation d'être suivie, celle de savoir qui il est vraiment me taraude. Depuis un moment maintenant, j'ai cette impression qu'il n'est pas tout à fait des nôtres. Il est différent. Dans le bon sens.

Ce mec est sauvage. Une âme à l'état brut. Il inspire l'interdit et le danger. J'aime ça. Au-delà de cette attirance, il m'intrigue et je ne lâcherai pas le morceau. Je découvrirai qui il est. Avec ou sans son aide.

Il me fixe alors que j'évite son regard depuis qu'il a proposé ce deal. Je pose la compresse, et lorsque mes iris entrent en collision avec les siens, je tressaille. J'aurais juré que ses yeux étaient bleu vert, cette fois, ils tirent vers le gris clair. C'est perturbant. La seule chose qui ne change pas sont ces petits éclats noirs ici et là dans cette couleur vertigineuse.

Je pose la compresse et m'écarte légèrement.

— Toi d'abord.

Dès qu'il comprend que j'accepte, son sourire en coin apparaît. Je suis partagée entre l'envie de me jeter sur ses lèvres et celle de mordre la mienne pour canaliser ce désir irrépressible. Dernièrement, dès qu'on peut, on se saute dessus à l'abri des regards. Pour un simple baiser, de simples caresses, plus, lorsqu'on en a l'occasion.

— Quand je t'ai retrouvé dans les toilettes. C'est là que j'ai su.

Il me tire de mes pensées et je me rappelle ce moment. Dans le moindre détail. Lui contre la porte, ses mains qui m'attirent contre son torse, ce baiser. Seulement, quelque chose m'interpelle. J'ai discuté de ça avec Mia avant d'entrer dans les toilettes et à moins d'écouter volontairement...

— Développe, ordonné-je.

De toute façon, c'est ça ou il n'aura pas ce qu'il veut. Il ne s'en tirera pas avec cette moitié de réponse. Il le sait.

Il sourit franchement et m'observe avec envie. Il aime mon caractère, j'en ai conscience. Cependant, cette fois, il ne m'aura pas. Pas tant que je ne saurais pas. Il fouille dans la poche de son sweat, sort une clope et un briquet, puis pose ses coudes sur ses genoux. Je le regarde faire et lève un sourcil au moment où il s'apprête à l'allumer. Il a apparemment oublié qu'on est dans ma chambre.

— À la fenêtre.

Je lui désigne celle de droite, là où je suis sûre que personne ne le verra et il se marre.

— La Diablesse a parlé, s'amuse-t-il en se redressant.

La Diablesse ? D'où ça sort, ça ?

Il ouvre le carreau, s'adosse au rebord et actionne son briquet. Je croise les bras et m'appuie sur la tranche de mon bureau sans le quitter une seconde des yeux. Il prend une taffe, relâche un gros nuage de fumée en basculant légèrement la tête en arrière et l'observe se dissiper.

— Ce jour-là, quand t'es sortie de l'amphi' avec Mia, j'étais à côté de la porte. J'ai entendu ce que t'as dit et je vous ai suivies. Je me suis dit que t'avais peut-être des emmerdes. Ensuite, vous êtes entré dans les chiottes et quand elle est ressortie, je m'y suis engouffré. Tu connais la suite, souffle-t-il avec une lueur canaille dans le regard.

Je plisse les paupières. Ça se tient, même si je trouve ça vraiment bizarre.

— C'est assez flippant ton truc. Puis, qu'est-ce que ça peut te faire que j'aie des ennuis ?

Il hausse les épaules et prend une autre bouffée de son poison.

— Ça fait deux questions, Chérie.

Je me retiens de grogner. J'ai horreur quand il m'appelle comme ça. Diablesse, passe encore, ça colle avec mon tempérament. Mais, celui-là, il est à chier.

Voilà donc mon tour. Je serre les dents. Je lui en veux de me pousser à me confier à lui. Seulement, je me rappelle que j'étais pas obligée d'accepter ce marché. J'inspire profondément, m'écarte de mon bureau et le rejoint en quelques pas, pour lui arracher sa clope des doigts et tirer dessus. Un poison qui parfois me fait du bien.

Surpris, il m'observe faire et c'est lui maintenant qui croise les bras. J'inspire une deuxième fois à plein poumon et lui rends son bien.

— C'est ma tante qui m'a appris. Je devais avoir six ans quand j'ai commencé. J'étais jeune , mais ça m'a tout de suite plu et j'ai en même temps compris que c'était ça que je voulais faire. Je voulais danser. En grandissant, j'ai demandé à intégrer l'une des plus prestigieuses écoles de danse. Ma tante me soutenait dans mon choix. Mes parents beaucoup moins. Lorsqu'elle est décédée, j'ai continué et j'ai tellement saoulé mes vieux avec ça, qu'ils ont fini par m'interdire de danser. Eux, ce qu'ils souhaitent, c'est que je sois à leur image. Une femme d'affaires. Ils ont condamné la salle de danse qu'on avait aménagée dans une des pièces qui ne servait pas. Depuis, je danse en cachette. Je vis mon rêve à moitié. S'ils apprennent que je me sers de la salle du campus, ils pourraient bien m'en faire interdire l'accès.

J'ai balancé ça d'une traite et silencieux, il m'a écouté tout du long. Même sa respiration s'est faite plus calme. Comme s'il avait peur que je me referme s'il venait à bouger ne serait-ce que d'un pouce.

— Tu peux pas danser ailleurs ?

Je lui jette un coup d'œil en biais, reprends son mégot pour tirer une taffe, l'écrase sur le bord de la fenêtre et esquisse un sourire.

— Ça fait deux questions, Chéri.

Il grogne, agacé et je ris. On se ressemble sur beaucoup de points quand j'y pense.

— On est plus à ça prêt, non ?

Je secoue la tête et réfléchis un instant.

— Très bien, alors dis-moi pourquoi j'ai de plus en plus l'impression que tu viens d'un autre monde ?

Ses billes claires se font plus sombres et les muscles de sa mâchoire tressautent.

— Qu'est-ce qui s'est passé avec Tyler ?

Je me fige et encaisse le coup. Nous y voilà, à nouveau, je dois décider. Soit, j'accepte le deal et j'ai ma réponse, soit non et je ne l'aurai pas.

Sans réfléchir, je me faufile devant lui et fonds sur ses lèvres. Manœuvre de diversion. Peut-être oui, mais pas que.

— Pourquoi tu veux savoir tout ça ? tenté-je.

Je suis du genre à me lancer. Qui ne tente rien n'a rien.

Il pose son front contre le mien, tandis que ses doigts filent le long de mes côtes et ses pupilles me transpercent.

— Peut-être parce que tu me plais. Et toi ?

Le souffle coupé, je sonde son regard pour deviner s'il ne serait pas en train de jouer avec moi. Pourtant, cette étincelle d'amusement que j'ai pu déceler parfois, n'est pas là.

Une réponse pour une réponse. OK.

— Peut-être parce que j'ai envie de vraiment apprendre à te connaître.

Rᴜʟᴇ Nᴜᴍʙᴇʀ Fᴏᴜʀ [Tᴏᴍᴇ 1]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant