Chapitre 54

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Ellyn

Pour la énième fois, je vérifie l'heure sur mon portable. Il fait nuit, je suis blottie contre Ash' qui dort d'un sommeil de plomb et je patiente. J'attends le moment où je devrai me lever en douce.

J'ai retourné le problème dans tous les sens depuis que j'ai ramassé ce mot dans les toilettes du campus. Peu importe l'issue qui se jouait dans ma tête, cela ne me plaisait pas. Pendant deux jours, j'ai pesé les pour et les contres pour savoir si je devais en parler à mon copain et accessoirement garde du corps.

S'il savait que j'ai décidé de garder ça pour moi et d'essayer de régler le problème moi-même, il pèterait un câble. Le fait est qu'à l'idée qu'il risque sa vie pour sauver la mienne, mon estomac se retourne à chaque fois que j'y pense. S'il lui arrive quelque chose à cause de moi. De mes parents trop radins pour payer. Jamais je ne pourrais me le pardonner.

À côté de ça, cette fois, le type menace Mia, Brad et Daniella. Si je ne paie pas, si je parle de ce message à qui que ce soit, si je ne me pointe pas au rendez-vous cette nuit, il commencera par tuer l'un d'eux. Sa lettre était très claire. Je n'ai pas le choix et surtout je ne veux prendre aucun risque. Hors de question que je teste pour voir s'il bluffe.

Je culpabilise. Pour le coup, Ash' s'est totalement ouvert à moi et c'est à mon tour de devoir lui cacher des choses. C'est comme si l'univers se vengeait. Comme s'il voulait me faire voir ce que ça fait d'être face à un dilemme pour lequel peu importe le choix que je ferai, l'issue ne me plaira pas.

J'ai peur aussi. J'ai la trouille de me pointer là-bas seule. De me retrouver face à ce type que je ne connais pas. Je ne suis pas sûre qu'il tiendra parole et qu'une fois l'argent qu'il demande en sa possession, il nous laissera tranquilles. Je pourrais aussi très bien tomber dans un piège. Il y a tellement d'incertitudes, que je ne sais plus où donner de la tête.

La main posée sur le torse de Ash' qui se soulève et s'abaisse à un rythme régulier, je lève le nez sur lui. Comme s'il sentait ce qui se trame dans mon esprit, il resserre ses bras autour de moi et râle dans son sommeil. J'esquisse un sourire, à la fois attendrie et triste. Il a tellement donné jusque-là pour me garder à l'abri sans que je me doute de ce qui se jouait.

Un coup d'œil sur l'écran de mon smartphone et j'inspire doucement. Nous y voilà. Avec précaution, je m'écarte de lui, puis juste avant de me lever pose un baiser au coin de ses lèvres. Il ronchonne, je me fige de peur de l'avoir réveillé, puis voyant qu'il ne bouge pas, je me redresse.

Mon cœur bat déjà à cent à l'heure lorsque j'enfile le sweat qu'il a laissé traîné au pied du lit. Lorsque je referme la porte derrière moi, c'est ma gorge qui se noue. Sur la pointe des pieds, je traverse le couloir et me faufile comme un ninja devant la porte entrouverte de la chambre où dorment Brad et Mia. Nous quatre, on est devenu comme des colocs'. Des amis, liés par un secret. Des potes qui ne se quittent plus.

Au rez-de-chaussée, j'attrape un élastique pour attacher à la hâte mes cheveux en queue de cheval, saisis les clés de ma voiture, puis jette un dernier regard derrière moi juste avant de m'engouffrer dans la fraîcheur de la nuit.

Lorsque je démarre, je bénis presque pour la première fois de ma vie, mes parents qui m'ont offert cette berline hybride. Sans aucun bruit, je quitte le devant de la villa et m'engage dans l'allée. Je pourrais faire marche arrière. Renoncer. Seulement, à chaque fois que l'idée m'effleure, l'image de mes amis s'impose à moi. Ce n'est pas leur guerre. C'est la mienne. Celle de mes vieux, aussi. Même s'il faut croire que ça leur passe au-dessus de la tête.

Les doigts crispés sur le volant, dans le calme ambiant de l'habitacle qui ne fait qu'accentuer mon stress, je garde les yeux rivés sur la route. En direction du parc, je roule au ralenti. Dans l'espoir de repousser un peu le moment où je devrais affronter ma décision.

À l'instant où je me gare le long du trottoir près du parc où je venais jouer quand j'étais petite, je suis sur le point de me défiler. Je coupe le contact, reste immobile quelques secondes et me mets une claque mentale. Je dois le faire. Pour eux. Pour moi.

La portière claque et le bruit résonne dans l'immensité sombre lorsque je la referme. Je contourne la voiture, ouvre le coffre, récupère le sac où j'ai fourré l'argent, puis, avance dans l'obscurité. Je me trimballe ce truc depuis deux jours. J'ai retiré la somme exacte de mon compte le jour même ou ce type m'a contacté. J'ai à peine pris le temps de réfléchir. Pour moi, c'est ce qu'il veut, alors c'est ce qu'il aura. Le plus dur a été de faire ça sans me faire prendre.

Je frissonne. De peur ou à cause du vent frais. Les deux certainement.

Devant la balançoire, le point précis indiqué sur le mot, je pose le bagage à mes pieds et recule de quelques pas. Là aussi, je pourrais me mettre à courir pour m'éloigner au plus vite. Mais la consigne était que je patiente. D'un côté, je trouve ça logique. Si je laisse le sac seul, n'importe qui pourrait le ramasser.

Un tour d'horizon m'informe que personne n'est là. Les lampadaires sur le trottoir sont trop loin pour éclairer correctement le parc. Aucun bruit ne me parvient. C'est angoissant. J'imagine Ash' en train de dormir paisiblement et ça m'apaise. Un peu.

Soudain, face à moi, le son des gravillons qui roulent sous des semelles m'alerte. Je me raidis et ne quitte pas des yeux l'endroit d'où ça provient. Des silhouettes se dessinent peu à peu et mon souffle se coupe.

— Désolé de t'avoir fait attendre, poupée, on devait s'assurer que t'étais bien venue seule.

Sa voix est grave, sa carrure imposante. Lorsqu'il s'approche, je distingue la couleur rouge de ses vêtements et son bandana de la même teinte noué autour de son crâne. Ses tatouages écarlates qui serpentent le long de son bras et remontent sur son coup attirent mon attention.

— Tout y est ?

Il m'arrache à mon analyse et désigne le sac du menton. J'acquiesce. Aucun mot ne veut sortir. J'avise les deux gars qui se tiennent à ses côtés et déglutis péniblement. Pourquoi est-ce qu'ils sont là ?

L'un d'eux se penche pour ouvrir le sac à la demande du type aux tatouages rouges, puis se met à compter attentivement.

— Tout y est, Boss, l'informe-t-il après quelques secondes.

L'intéressé esquisse un sourire qui me file la chair de poule, puis, d'un bref mouvement de tête fait signe au deuxième gorille qui l'accompagne.

— Alors on l'embarque.

Sans que je puisse faire quoi que ce soit, son complice fond sur moi et m'encercle de ses bras. Je tente de me débattre tandis qu'il me soulève, mais c'est peine perdue. Dans un élan de survie, je balance ma tête en arrière et heurte le nez de celui qui me retient. Il grogne sans me lâcher pour autant et continue d'avancer.

— Putain, cette salope vient de me péter le nez !

— Fait pas chier, lui balance l'homme en rouge. Mets-moi ça dans la caisse.

Le type qui porte le sac ouvre la porte arrière d'une camionnette et celui que j'ai cogné me balance à l'intérieur comme une brute. Mon dos percute violemment la paroi et j'étouffe un râle de douleur juste avant de me redresser pour tenter de sortir avant qu'ils ne referment. Je reçois un revers de main en plein visage, m'écroule et il referme.

Je crie. Hurle de toutes mes forces. Seulement mes plaintes terminent étouffées contre les cloisons capitonnées de l'habitacle. Le souffle court, à genoux, j'observe autour de moi. Les larmes ravagent maintenant mes joues et je m'insulte intérieurement.

Pourquoi je n'ai pas écouté cette petite voix qui me suppliait de faire demi-tour ?

Le sourire de mon copain surgit devant moi et instantanément je suis terrifiée à l'idée de ne plus jamais le revoir.

Rᴜʟᴇ Nᴜᴍʙᴇʀ Fᴏᴜʀ [Tᴏᴍᴇ 1]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant