CLAN ROUGE

•Chapitre 49•

La soirée passa vite et calmement. Levi dormait, assis sur sa chaise, alors que Willow fixait le plafond. Les mains croisées sur son ventre couvert, elle laissa ses pensées s'étendre sur le ciel de bois. La reprise du Mur Maria avançait à grand pas, et pourtant, elle n'avait rien fait de son temps libre. Elle n'avait pas aidé depuis plusieurs jours et au contraire, avait risqué sa vie et celle du Capitaine. En repensant aux évènement des jours passés, la jeune femme revit la poursuite à cheval et les balles de plomb voler près de leur visage à une telle vitesse que le vent seul aurait pu les suivre. Elle se souvint de l'adrénaline qui coulait dans chacune de leurs veines, qui alimentait chaque muscle, accélérait chaque battement de coeur, animait leurs mouvements et aiguisait leurs sens. Elle se rappela ensuite du parfum et du souffle chaud de Levi dans son cou, de sa prise sur le haut de ses hanches, du rythme de sa respiration, de sa voix dans son oreille et de ses muscles contractés collés à son dos. Le souvenir de son coeur battant à la chamade et ses pensées se figeant sur le Capitaine malgré sa blessure au ventre remonta brusquement, à tel point qu'elle sentit son corps revivre les mêmes sensations. En le remarquant, elle serra les dents, agacée et embarrassée d'être si sensible à une telle émotion. Willow se redressa et retira le drap blanc avant de s'assoir sur le bord de la table. Elle se leva et passa silencieusement devant le Capitaine avant de se diriger vers la fenêtre ouverte. Elle s'accouda au rebord et plongea sa main dans ses cheveux, tête au dehors. Elle souffla longuement, fatiguée de toutes ces pensées douloureuses et inutiles. En remontant le regard vers la ville, elle laissa le paysage endormi se dérober sous ses yeux perçants. Les toits jouaient le rôle de scène pour les chats et les oiseaux de la nuit, les étoiles les lumières, les animaux nocturnes les acteurs. Willow observa ce théâtre paisible tout en les laissant lui changer les idées.

Après quelques minutes, elle se redressa et baissa les yeux sur son torse bandé. La douleur n'était que faible et faisait souvent place à des démangeaisons qu'elle se devait d'ignorer. La jeune femme passa doucement sa main sur la plaie recouverte et se redressa de nouveau avant de se retourner vers le reste de la pièce. Elle tomba sur le Capitaine, assis sur les sièges, jambes et bras croisés, endormi. Il était beau. Debout contre la fenêtre, elle l'observa avec une admiration sans fin. Il avait vu autant d'horreurs qu'elle, et pourtant, il différait d'elle uniquement sur les expériences similaires. Il réagissait autrement, il était devenu quelqu'un que tout le monde admirait pour sa force et son courage, sa détermination et son sérieux. Elle était étonnée de voir à quel point deux personnes pouvaient se ressembler tout en étant si différents. Willow soupira silencieusement et baissa les yeux sur le sol neutre. «A quoi pensaient-ils tous? Tous les membres du Clan Rouge... Ils ont tous perduré notre sang, malgré les captures, les meurtres, les tortures... C'est cela que voulait mon père pour moi? Que je m'écarte de ce qu'il m'est interdit d'avoir? Dois-je réellement ignorer et estomper mes sentiments? » se demanda-t-elle en lui lançant un coup d'oeil. S'imaginer un futur toute seule lui avait fait mal un long moment lorsqu'elle était jeune, autrefois orpheline. Elle avait toujours vu ses vieux jours accompagnés par un amour semblable à celui que ses parents avaient l'un pour l'autre. Deux ans après l'assassinat de sa famille, lorsqu'elle était revenue une fois de plus sur ses derniers moments familiaux et son passé calme, elle comprit que son père l'avait mentalement préparée à vivre aux dépends d'elle-même, à toujours ressentir un certain manque qui jamais ne pourrait être comblé. Elle n'avait jamais véritablement eu son père, et maintenant, elle n'aurait jamais de famille ou de partenaire. Si cela l'avait profondément blessée au début, elle s'était habituée à monter un certain mur entre son coeur et ses désirs. Mais cette fois, c'était différent. Son mur si anciennement facile à bâtir avait été monté brique par brique, la suivante plus lourde encore que la précédente. Il occupait ses pensées nuit et jour, réveillait son corps d'une manière inconnue et envieuse, brouillait les alentours...
Elle le voulait. Elle voulait de nouveau sentir son parfum, son touché, entendre sa voix, son nom sortir de ses lèvres... Elle le désirait comme elle n'avait jamais rien désiré d'autre.
Willow ferma les yeux, étouffée par la pression entre son mur abritant son coeur, et ses désirs. Elle se retourna de nouveau vers le dehors et laissa l'air frais baigner sa tête remplie.