Lohobiague Enea, mois de septembre
Liberté
Les fêtes qui s'en suivirent durant les jours suivants furent plus fastueuses les unes que les autres. Et nous étions décidés à en profiter le plus possible : ce n'était pas rare qu'à toute heure de la journée, Philippe, Livigne ou Rivoire toquent à ma porte pour venir me chercher pour un bal ou une réception. Le soir, nous valsions jusqu'à l'aube, ou bien nous restions entre nous, à boire un chocolat chaud —boisson apparemment favorite de Marie-Thérèse— dans la bibliothèque. Louis se joignait dès que possible à nous, mais jamais encore il n'était venu avec sa jeune épouse.
Ils dormaient ensembles tous les soirs. Je n'avais pas été conviée à assister à leur nuit de noce —d'ailleurs, je n'en n'avais pas eu envie—, mais les deux époux avaient abordé un air satisfait le lendemain matin, si bien que nous savions tous que tout s'était bien passé.
Aramis et Anne s'emblaient bien plus apaisés que jamais. Je les voyais rire, et prendre en sympathie la nouvelle reine. Reine à qui j'étais allée présenter mes hommages, avec Livigne, Carsel et Rivoire. Elle nous avait souris timidement, avant de nous remercier en espagnol. Si elle connaissait quelques bases du français, elle ne le maîtrisait pas assez pour nous répondre dans cette langue.
C'était donc un simple après-diner, il y avait une réception dans la grande salle, et j'étais déjà en retard. Pourtant, courir dans les couloirs ne servaient à rien. « Tu n'es jamais en retard, ce sont les autres qui sont en avance », me répétait souvent Godefroid, en citant Margot. « Et tu apprends toujours plus de choses quand tu arrives en dernière », ajoutait-il souvent. Cette dernière phrase, je ne l'avais jamais comprise. Jusqu'à aujourd'hui.
Les couloirs étaient calmes, silencieux. Et au détour d'un d'entre eux, je vis une silhouette de dos, penchées près d'une fenêtre, comme si elle essayait de récupérer le plus de lumière possible. Elle s'agitait nerveusement, comme si elle était aussi en retard... Et le bruit de la plume contre le papier me figea. C'était Charlotte. Charlotte, en retard, qui écrivait nerveusement...
Les pièces s'agencèrent dans mon esprit. Il était impossible que Charlotte, qui connaissait ses filles autant que Lafayette et Sévigné n'ai jamais rien relevé dans le style d'écriture. Il était impossible que Charlotte, qui se vantait de toujours tout savoir, ne sache pas les activités de ses filles. Enfin, il était tout à fait possible que Charlotte —autant que Marcus— soient complice d'Agathe et d'Adèle. Ce qui voulait dire qu'elle nous avait menti, à Renard et moi, lorsqu'elle nous avait donné la liste. Ce qui voulait dire... Qu'elle était aussi une espionne au service de la Chronique de ses filles.
- Vous saviez... soufflai-je, ne pouvant me retenir.
Charlotte, surprise, se tourna d'un bond vers moi. Son visage se décomposa une fraction de seconde en me voyant, avant de reprendre sa tranquillité à toute épreuve, et elle cacha discrètement le papier derrière elle.
- Je vous demande pardon ? s'enquit-elle tranquillement.
Mais je n'avais plus envie de jouer la comédie. Charlotte savait.
- Non seulement vous saviez... continuai-je, plus dure, en avançant d'un pas. Mais vous participez aussi...
La comtesse releva la tête d'un air hautain et faussement amusé.
- Il va falloir préciser le fond de votre pensée, mademoiselle de Tréville, car je...
- Vos filles, grondai-je avant de baisser d'un ton et d'avancer un peu plus, levant mon regard vers le sien. Vos filles, mesdames de Sévigné et de Lafayette, ainsi que vous et votre fils... Vous êtes les créateurs de la Chronique de la cour Française.
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L'héritage de l'Espionne - Livre III
Fiksi PenggemarLa rumeur enfle. Elle arrive, elle arrive, murmurent les courtisans et les serviteurs. Mais de qui parlent-ils ? De la veuve Tréville, la veuve Tréville, ce nom est sur toutes les lèvres. Céleste de Tréville, la richissime veuve de l'ancien régent e...