L'adolescent que j'étais n'aurait jamais imaginé, un jour, porté un costume coûtant l'équivalent de ce que pouvait gagner mon père à l'époque. Le plus flatteur est que je ne dois ma fortune qu'aux fruits de mon travail acharné et non d'un quelconque héritage comme les médias l'ont si souvent supposé. Je dois ces milliers d'euros à mes peintures, sculptures et autres pratiques artistiques. Si je devais être tout à fait honnête, j'avouerai que plus de la moitié de cet argent, si ce n'est la totalité, revient à Adaliah Duval. Elle a toujours été ma plus grande muse et le sera toujours, j'en suis sûr.
Il n'y a jamais eu aucune raison pour que ce soit elle et pas une autre, rien qui ne puisse justifier qu'elle soit aussi présente dans mon esprit, que je sois éveillé ou dans le plus profond des sommeils. Mon obsession pour elle n'a jamais eu lieu d'être. Je reconnais ses qualités et sa beauté. D'aussi loin que je me souvienne, elle a toujours eu des traits intéressants. Rien ne me dit que je ne l'aurais pas dessiné dans mes cahiers à l'époque de notre rencontre, si seulement j'avais su que j'étais capable de produire des œuvres si particulières qu'elles me permettent aujourd'hui d'en vivre.
Finalement, je pense que si Adaliah est aujourd'hui ma muse, alors même que je n'ai plus de contact avec elle depuis plus d'une dizaine d'année, c'est parce qu'elle n'a jamais fait partie de celles qui me voulaient ou inversement. Tout le désir que je n'ai jamais eu pour elle s'est transformé en une obsession, ou plutôt en une certaine fascination. C'est exactement parce qu'elle ne me voulait pas que je la veux à présent. Je n'entends pas la vouloir d'une manière salace, je veux dire par-là que je veux apprendre à la connaître et l'aimer. Je sais que je n'aurais pas besoin d'apprendre à l'aimer comme j'ai toujours eu à le faire jusqu'à présent. Mon amour pour elle a toujours été évident.—Monsieur, mon rapport est prêt.
—J'écoute.
—Adaliah Duval, vingt-cinq ans, domiciliée au 26 rue...
—Ne me donne pas son adresse, le coupais-je. J'en prendrai connaissance par moi-même.
—Madame Duval est fiancée à un certain Nathan Georges, vingt-sept ans. Ils se sont rencontrés lors du bal annuel des pompiers, il y a trois ans. La jeune femme ne présente aucun signe pouvant affirmer une grossesse.
—Ça suffit, l'interrompais-je avant qu'il ne reprenne. Posez le rapport sur mon bureau et disposez. Le virement a déjà été fait.Lorsque la porte de mon bureau claque, je soupire en m'appuyant contre la fenêtre. Comment ai-je pu en arriver là ? Engager quelqu'un pour avoir toutes les informations nécessaires au sujet d'Adaliah plutôt que des les obtenir moi-même par le biais d'un simple rendez-vous. Il faut que je me reprenne. Je n'ai jamais fait partie de ceux qui évitaient les conversations, aussi futiles puissent-elles être.
On frappe à la porte.—Monsieur Leclerc, il y a un courrier urgent pour vous.
—Pose-le sur le bureau.
—Non, vous ne comprenez pas. Je n'ai pas le courrier en main, c'est un homme qui veut vous le remettre. Il tient absolument à vous le remettre lui-même en main propre.Je fais volte-face. Elizabeth n'a nullement l'air inquiète. Je la fixe quelques secondes dans l'attente de la voir faiblir, de voir si elle utilise l'un de nos codes secrets. Lorsqu'elle est arrivée ici, nous avons fixé certains éléments de sécurité imperceptibles pour chaque personne, si ce n'est pour nous deux. Toutefois, elle ne retire pas cet air enjoué de son visage et ce petit sourire, comme si elle savait quelque chose dont je n'avais pas encore pris connaissance.
—Aurais-tu l'obligeance de me dire ce qui te fait sourire ?
—Gardez vos obligeances, je ne suis nullement l'un de vos sbires.
—Je n'ai aucun sbire.
—L'essentiel est d'y croire, n'est-ce pas ?J'aime la manière dont elle me répond sans avoir peur de me froisser. Après tout, elle a raison. Je ne suis qu'un artiste, pas un chef de gang ou un membre de la mafia. Seulement, je reconnais aimé avoir du pouvoir, de l'autorité. Si l'on ne me contredit pas, j'ai tendance à me lasser et à dominer par l'entièreté de ma personne sans aucune retenue.
—Fait le entrer, finis-je par dire dans un soupir.
—Bien monsieur.
—Attends, Elizabeth. On devrait aller prendre un verre puis dîner, toi et moi. Ce soir, peut-être ?
Elle sourit tristement avant même que je ne termine ma phrase.
—Je ne vais pas m'infliger ça pour votre seul plaisir, dit-elle alors que je fronce les sourcils. Nous savons tous les deux pourquoi vous voulez sortir avec moi et ce n'est pas ce que je veux. Je ne dis pas que vous n'êtes pas attirant, séduisant, excitant. Ce serait mentir. Toutefois, outre l'aura purement sexuelle que vous dégagez maintenant, j'ai envie d'une relation saine et sérieuse. Nous savons tous les deux que c'est quelque chose que vous n'êtes pas prêt à offrir. Enfin, pas à moi.
—Elizabeth, je...
—Vous êtes amoureux d'Adaliah depuis tant d'années déjà. À l'instant même où vous m'avez engagé, je savais que je n'avais aucune chance de rivalisé avec une femme qui ne sait même pas à quel point elle est aimée.Elle quitte mon bureau avec ce même sourire triste, comme si elle était désolée pour moi. Je suis toujours abasourdi par sa réponse lorsqu'un homme entre dans mon bureau, l'air hautain et déterminé. Son regard est perçant, d'un noir hypnotisant dans lequel je ne voudrais nullement me perdre. Ses cheveux, de la même couleur, sont fins et coiffés en arrière. C'est sans aucun doute ce qui lui donne cet air élégant et raffiné, le tout avec l'aide d'un costume trois pièces beiges. Comme si ce n'était pas déjà assez, il est venu compléter l'ensemble avec une mallette tout à fait semblable à celles que peuvent utiliser les avocats. Physiquement parlant, il n'y a rien à dire. C'est un homme tout à fait charmant et assez à mon goût si je voulais être honnête. Je suis sûr qu'il doit plaire à beaucoup. Toutefois, je continue de nier le désir grandissant en moi et préfère me concentrer sur cet air détestable sur son visage plutôt que sur le physique caché sous ces trop nombreux vêtements.
—Minho Choi, acheteur agréé. Pour faire court, je souhaiterais avoir en ma possession toutes vos œuvres actuelles concernant « Ada », comme vous l'avez vous-même mentionner sous toutes vos toiles.
—Je vous demande pardon ?
—Je paye en liquide.Il ouvre la fameuse mallette dont tombe plusieurs liasses de billets violets. Ses yeux n'ont pas quittés un seul instant mon visage, ni même lorsque je regardais les billets éparpillés sur le sol, un fin sourire sur le visage. C'était donc ça. Je comprends désormais le sourire qu'avait pu avoir Elizabeth. Toutefois, je ne souris pas à cause de l'argent sur le sol, ni même parce que j'avais raison sur l'accessoire d'avocat que représente la mallette. Je souris parce que cet homme a eu l'audace de venir ici en prétendant pouvoir acheter ma plus grande muse, et d'une certaine manière, c'est ce culot qui me donne presque envie d'accepter.
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ADALIAH [bxb]
RomanceLiam Leclerc, artiste peintre accompli du haut de ses vingt-sept ans, n'a toujours eu d'yeux que pour Adaliah, sa muse, qu'il n'a pourtant vue que dans ses rêves ces dernières années. Lorsqu'il apprend la mort de son père, le contraignant à retourné...