Chapitre 6

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Tous ces pansements posés par chacune des personnes que j'ai connu, tous ces bandages destinés à réparer mon cœur. Ils ne tiennent pas. Comment pourraient-ils dans une telle situation ? Quoique la science puisse en dire, je suis certain de sentir mon cœur s'émiettait dans ma poitrine. Je ne me sens plus vivant, je ne ressens plus rien. Si je n'étais pas déjà assis, je suis certains que je m'écroulerai sur le sol. J'aimerais être capable de dire quelque chose, de faire quelque chose. J'aimerais être capable de réagir, de ressentir. Plus rien n'a de sens. Il n'aura suffi que de quelques minutes avant que je ne sois seul dans cette église, qui ne m'a jamais paru aussi grande.
    Je réalise alors que Minho n'a jamais été de mon côté. Pas un seul instant. Il n'a jamais vu Adaliah dans ses rêves parce qu'il n'a jamais eu besoin de fermer les yeux pour la voir. L'acquisition de mes tableaux, le contrat passé, tout cela n'était qu'une simple manipulation. Il ne veut pas que j'aie quoi que ce soit à faire avec Adaliah. Sa femme. Si ça se trouve, il déteste mes tableaux et n'en a même jamais parlé à Adaliah. Tous ces scénarios purement sexuels que j'ai imaginés entre lui et moi, tous mes désirs et mes envies les plus salaces. Elles étaient toutes vouées à l'échec. Je ne lui ai jamais plu, mon charme n'avait aucun effet sur lui. Il s'est joué de moi sur tous les plans. Je n'ai été qu'une simple distraction, un simple jouet pour lui. Il ne m'a jamais vu que comme un pion, une simple marionnette.
    Debout sur le parvis de l'église, mes nerfs lâchent et je dévale les escaliers jusqu'à me retrouver étalé sur le sol, les yeux rivés vers un ciel sans nuages. J'aimerais qu'il pleuve. J'aimerais que la pluie emporte mes sanglots, j'aimerais que mes larmes mêlées de sang ne soient pas visibles. La douleur de mon égratignure paraît inexistante comparée à ce que je ressens à l'intérieur de moi. Rien ne pourrait me faire plus mal que cet instant précis. Rien n'est même plus pathétique que moi, allongé au milieu de grains de riz et de pétales de roses provenant d'un mariage qui ne sera jamais le mien. La mort serait même plus douce que cette torture, j'en suis certain. Dans le fond, j'ai déjà un pied dans la tombe. La seule raison que j'avais de vivre, que j'avais d'y croire, a disparu. Elle est partie devant moi, main dans la main et unie à un homme qui ne la connaîtra jamais de la manière dont je la connais.

    —Monsieur, vous allez bien ?
    —Dieu ?
    —Non, moi c'est Stan, dit-il en riant.
    —Satan ?! répétais-je, outré.
    —Quoi ? Non ! Stan, le diminutif de Stanislas. Personne ne s'appelle comme le diable. Ce n'est même pas un prénom, dit-il en me tendant la main.
    —Vous êtes qui ? Le cousin du jeune marié ? Son témoin ? Pire encore, son frère ?! Vous ne pouvez pas porter un costume aussi chic par pur plaisir.
    —Je ne suis personne, j'aime simplement m'inviter à des mariages d'inconnus. Et vous alors ? Vous aimez jouer les victimes qui perdent connaissance de manière dramatique ?

Je ris alors qu'il arrête de sourire.

    —Je vais vous conduire à l'hôpital. Cette blessure n'est pas aussi belle que vous.
    —Pardon ?
    —Je disais que cette blessure n'était pas aussi agréable à regarder que vous.
    —Est-ce...est-ce que vous flirtez avec moi ?
    —Devrais-je plutôt le faire lorsque vous serez totalement conscient ?

    Je ris en portant une main à ma tête. Il ne doit sans doute pas avoir tort. Le sang sur mes doigts est toujours frais, ce qu signifie que le sang n'a jamais arrêté de couler. Pour être honnête, je ne sais pas combien de temps je suis resté sur le sol avant qu'il ne me trouve. Bien que je n'ai aucune idée de qui il est, ni même de pourquoi il est devant cette église avec son magnifique costume, je ne vais pas m'en plaindre. Je n'ai aucun moyen de locomotion à part lui. S'il ne m'avait pas trouvé, peut-être que je serai resté au milieu de ces grains de riz pour le restant de mes jours.

    —Je ne devrais pas monter dans la voiture d'un inconnu, c'est une question de principe, dis-je en attachant ma ceinture.
    —Vous ne devriez pas, en effet. Toutefois, il suffit que je ne sois plus un inconnu pour vous. Posez-moi quelques questions.
    —Est-ce que vous êtes gay ?

Il éclate de rire.

    —Oh, eh bien je m'attendais à d'autres questions. Celle-ci est un peu... Oui, finit-il par dire. Oui, je le suis.
    —Bien. Très bien, dis-je en frottant mes mains sur mes genoux.
    —Vous n'avez déjà plus de questions ?
    —Quel âge avez-vous ?
    —Vingt-trois ans. Vous ne devez pas être beaucoup plus vieux, non ? Je ne suis pas marié et sûrement pas père de famille, et j'ai arrêté mes études pour être gardien de zoo.
    —Gardien de zoo ?
    —Je plaisante. J'ai simplement arrêté mes études.
    —Tu es très bavard, Stan.
    —Faites-moi taire, monsieur.

    Je tourne ma tête vers lui alors qu'il arrête la voiture. Mes yeux plongés dans les siens, ce sont les sirènes des ambulances qui détournent mon regard. Je le remercie brièvement, sans même prendre le temps de lui dire mon nom et descend de la voiture. J'aime son audace et son manque de pudeur. Toutefois, ce n'est pas le bon jour pour faire des rencontres. Ce n'est pas non plus le bon jour pour coucher avec n'importe qui.

    —Vous pourriez au moins me donner votre nom, dit-il en passant sa tête par la fenêtre de la voiture.
    —Liam. Liam Leclerc.
    —Leclerc ? Comme le magasin ?

    Je ne peux m'empêcher de sourire. Quel idiot. Si au moins il m'avait comparé au pilote de Formule 1. Mon égo aurait été flatté. Quoi qu'il en soit, mon être tout entier est déjà épuisé à l'idée de passer les prochaines heures dans une salle d'urgence pleine de gens qui se plaignent continuellement. Je devrais être en train de faire la fête, de regarder la femme que j'aime être heureuse avec n'importe qui d'autres que Minho Choi.
Si j'accepte son bonheur à elle, il est beaucoup plus difficile d'accepter qu'elle soit son bonheur à lui.

ADALIAH [bxb]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant