Une soirée. Il n'aura suffi que d'une simple soirée d'à peine quelques heures pour que je ruine tout à néant. J'avais espoir que nous puissions partir sur de bonnes bases, après un an sans nouvelles l'un de l'autre. Quel échec. Quelle erreur.
Je ne sais pas combien de temps je reste assis dans mon canapé, face au croquis que j'avais fait de lui. Je n'ai même pas eu le temps de le terminer. Mes pensées fusent dans tous les sens et le sommeil ne me vient pas. Pas même lorsque le soleil se lève et que les premiers bruits de klaxons s'entendent même à travers les vitres fermées. Mon téléphone n'arrête pas de sonner, encore et encore, sans que je ne prenne la peine de répondre. La majorité des appels sont d'Elizabeth.
C'est toujours lorsqu'il est déjà trop tard que l'on regrette nos mots, comme si le regret avait une réelle importance. Tout le monde sait qui est dit ne pourra être repris, ne pourra pas être oublié. On ne peut pas revenir en arrière. Je voudrais pouvoir le faire, lui dire que je suis désolé et que je ne pensais pas un mot de ce que j'ai dit mais je doute que cela arrange qui que ce soit. Mes mots lui sembleraient faux et pathétiques, presque autant que moi d'ailleurs.***
Il m'aura fallu un peu plus de deux mois de travail pour arriver au résultat escompté. Le premier tableau que j'avais fait de Stan n'était pas représentatif de sa beauté naturelle et de sa simplicité, alors j'ai recommencé. Ce n'était toujours pas le résultat escompté. Alors j'ai recommencé, encore et encore et ce n'est qu'au bout du cinquième tableau que j'ai enfin atteint un résultat duquel j'étais satisfait. Je n'aurais pas pu être plus fier du résultat, j'en suis certain.
J'ai passé l'été dans mon appartement plutôt que dans mes locaux prévus pour que j'y travaille. Je ne sortais que pour les quelques rendez-vous avec de potentiels acheteurs à propos d'œuvres qui me semblaient si futiles mais apparemment, qui étaient très représentatives pour eux. Elizabeth m'appelait en moyenne deux fois par jour, histoire de vérifier que j'allais bien. Je lui en étais reconnaissant mais, ses appels étaient nuisibles à ma concentration et à ma créativité. Plutôt que de m'appeler chaque jour, elle a commencé à venir tous les soirs pour constater en personne de l'avancer de mon projet.—Ce n'est pas la première fois que vous peignez des hommes mais, il y a quelque chose de différent dans ce tableau, avait-elle déclaré. Il est à la fois simple et pourtant si minutieux, remplis de détails.
Je ne saurais dire combien d'heures, combien de nuits blanches ce tableau m'a coûté. Pour être honnête, ça n'avait aucune importance. La seule chose dont j'en retiendrai est que je n'avais même plus besoin de regarder les photos que j'avais prises de lui pour le voir. Son image s'était imprimée dans ma mémoire. Il ressemblait à une divinité grecque, à un demi-dieu.
Deux mois étaient passés depuis cette fameuse discussion. Je l'ai regretté à de nombreuses reprises, lorsque mes lèvres ont embrassé celles d'un autre homme, lorsque j'ai couché avec une femme qui avait son âge, lorsque j'ai croisé son sosie mais que ce dernier était blond. Seulement, ça ne s'est pas arrêté là. J'ai peint ces collines vertes qu'il rêve de descendre en luge en hiver, j'ai imaginé sa petite maison remplie de plantes vertes, et son jardin plein d'arbres fruitiers. J'avais les images de ses propres mots en mémoire et ça ne cessait pas. Je ne le faisais pas par obsession comme lorsque j'avais l'habitude de le faire avec Adaliah, cette fois, tout est différent.
Stanislas n'est pas ma muse. Pas complètement. Je ne fais que peindre ce qu'il me décrit, comme s'il était l'artiste et moi son élève. Il m'apprend à envisager des choses, des endroits que je connais déjà sous un angle tout à fait nouveau. Il me fait sortir de ma zone de confort en me poussant à réduire ma production de portraits et à me lancer dans la grande aventure des paysages. J'ai imaginé deux séries de tableaux qui ne tournent qu'autour de ce petit village : l'une est de son point de vue, l'autre du mien. De son point de vue, tout est coloré, féerique, presque irréel. Du mien, tout est rougeâtre et sombre, comme si tout n'était que feu et cendres. Ces séries ont été mon échappatoire lorsque j'étais incapable d'obtenir un résultat convenable de sa représentation. Elles ont été si rapides à réalisées, et si faciles.
Je repense soudainement aux mots que je lui ai dits et mes poings se ferment. Comment ai-je pu être aussi ignoble avec quelqu'un qui ne m'a jamais blessé intentionnellement ? Avec du recul et après en avoir parlé avec Elizabeth, j'ai réalisé que Stan n'a jamais été le méchant de l'histoire. Il avait raison sur toute la ligne : Minho aime Adaliah et il n'y a rien qui aurait pu changer ce fait. Ni lui, ni qui que ce soit.
Il faut que je le voie. Il s'agit bien plus d'un besoin que d'une envie. Je dois le voir, lui parler, m'excuser. Avoir été avec lui ce soir-là est la meilleure chose qui me soit arrivé de toute cette journée et je lui suis reconnaissant de chaque mot qu'il m'a accordé, de chaque geste qu'il a eu envers moi. Il n'avait pas à me ramasser sur le sol, à m'emmener à l'hôpital ou à m'attendre à la sortie. Il aurait très bien pu aller au mariage comme n'importe quel invité, faire la fête et se bourrer la gueule. Peut-être même qu'il aurait dû mais il ne l'a pas fait. Il a préféré sacrifier sa soirée en la passant avec moi, un inconnu ramassé à même le sol comme un déchet.Quelques heures plus tard, me voilà devant la fameuse église. Mon cœur se serre lorsque les images d'Adaliah envahissent ma tête. Pourtant, le cadre est bien différent : aujourd'hui, il fait gris, il pleut et les feuilles de l'automne sont déjà partout sur le sol. Je laisse ma voiture ici et commence mes recherches à pied. Le village n'est pas très grand, le tout ne me prendra que quelques heures.
Je frappe à la porte de chaque maison, en reconnaissant quelques visages déformés par la vieillesse. Les parents de mes anciens amis, pensais-je tristement. J'aurais aimé qu'ils me reconnaissent aux aussi, qu'ils me sourient et me prennent dans leurs bras au souvenir du bon vieux temps. Mais tout cela est loin maintenant. Bien trop loin pour qu'ils daignent me reconnaître. À l'inverse, certains me prennent pour un fou et menace d'appelé la police. Si son visage ne m'apparaît pas en ouvrant la porte, alors en quelques secondes, je suis déjà devant celle du voisin, rempli d'espoir. Aucun flic ne pourrait m'arrêter.
Le village ne m'a jamais paru aussi grand, et moi, aussi désespéré. Je ne me rends même pas compte que je frappe à la porte de la maison de ma propre mère.—Je ne suis pas encore morte, reviens dans quelques années.
—C'est bien dommage.
—Va au diable.
—Je suis sur le pas de sa porte en ce moment même, dis-je sur le même ton amer.Elle me claqua la porte au nez, ce qui ne me surprit pas une seule seconde. Lorsque je me tourne pour reprendre mes recherches, je le vois. Je le vois descendre de sa voiture et marché jusqu'à sa porte. Alors, je me met à courir. Je cours et crie son nom pour qu'il s'arrête et heureusement pour moi, il s'arrêta.
Il me regarde pendant quelques secondes. Son visage est impassible. C'est là, à ce moment précis, que j'ai réalisé que je ne l'avais pas vraiment retrouvé et que de simples excuses ne suffiraient peut-être pas.
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ADALIAH [bxb]
RomanceLiam Leclerc, artiste peintre accompli du haut de ses vingt-sept ans, n'a toujours eu d'yeux que pour Adaliah, sa muse, qu'il n'a pourtant vue que dans ses rêves ces dernières années. Lorsqu'il apprend la mort de son père, le contraignant à retourné...