Chapitre 21

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Les ventes immobilières ne sont pas choses courantes dans ce petit village, tout n'a toujours été une question de lègues testamentaires et la mort de mon père n'a fait que me le rappeler. Ses parents ne vivent plus là-bas. Ce sont les parents d'Adaliah qui les ont hébergés lorsqu'il a été question du mariage, aux motifs qu'ils devaient aider pour les préparatifs et que vivre quelques jours chez leur fils n'aurait été qu'un obstacle au bon déroulement des préparatifs.

    —Ils ont préparé ce mariage comme s'il s'agissait du mien.
    —Tu ne veux pas te marier ?
    —Si, bien sûr que si mais je ne suis pas prêt pour le moment. Est-ce que tu voudrais te marier, toi ?
    —Non.

Ma réponse ne sembla pas le surprendre.

    —Est-ce que je peux te poser une question ? Lui demandais-je alors que je connais déjà sa réponse.
    —Bien sûr.
    —Pourquoi avoir acheté un appartement dans un tel village ?
    —Tout le monde ne voit pas le village de la manière dont tu le vois. Tu ne le vois que comme un souvenir rempli de malheurs et de déceptions. Moi, j'y vois les champs de blés en été, les collines vertes en été, desquelles on peut même glisser en luge en hiver. J'y vois l'unique petite boulangerie au coin de la rue, le même facteur passé tous les matins. Je ne suis pas quelqu'un de fait pour la ville et ses gratte-ciel. En tant qu'artiste, je pense que tu peux comprendre ça.

    Il a raison. Les paysages qu'il me décrit sont si faciles à me représenter que j'esquisse un sourire. Dans sa bouche, ce village semble idéal, apaisant. Il me donnerait presque envie d'y retourner vivre. Je ne dis pas que ce serait mauvais pour mon inspiration, mais ça le serait sans aucun doute concernant la vente de mes tableaux. Il n'y a aucune galerie d'art entre ces champs de blés, aucun client potentiel dans l'ensemble du village et dans ceux avoisinants. Je ne courrai qu'à ma perte si je déménageais dans ma campagne natale.

    —Tu vis dans un appartement, mentionnais-je.
    —J'ai déménagé. Mon appartement est désormais loué à mon conseiller et à sa femme. J'ai une petite maison qui me convient parfaitement et dont le jardin est aussi grand que la taille de mon ancien appartement.

Il ne cessera donc jamais de me surprendre.

    —Cela devait être difficile de travailler avec quelqu'un qui n'habite pas près de chez toi, dans ta petite campagne, dis-je avec un sourire moqueur.
    —Je lui ai dit qu'il pouvait faire les modifications qu'il voulait, à condition de ne casser aucun mur. Je sais qu'il ne modifiera rien. Minho est quelqu'un de très simple et mon appartement est très neutre.

    Ma respiration se coupe. Minho. Minho et Adaliah, dans l'ancien appartement de Stan. Comment ai-je pu être aussi aveugle ? Stan m'avait déjà parlé de ce conseiller, qu'il avait continué à engager à la mort de son oncle pour l'aider dans ses investissements. Seulement, je n'avais jamais envisagé le fait qu'il puisse s'agir de Minho. Pas une seule seconde. Pourquoi aurais-je fait le lien entre deux personnes qui n'ont absolument rien en commun à mes yeux ? Pourtant, je savais que Minho aimait faire dans les investissements, ses actions passées me l'avaient bien montré.
    La colère monte en moi en réalisant que depuis tout ce temps, Stan a gardé le secret concernant leur emménagement dans son appartement. Il sait à quel point j'aime Adaliah depuis le jour de notre rencontre, et il m'a laissé le lui dire comme si son propre employé ne l'avait pas épousé sous mes yeux.

    —Minho, répétais-je. Minho travaille pour toi et tu ne m'as rien dit.
    —Minho aime Adaliah, que tu le veuilles ou non ne m'importe pas. Je suis désolé qu'elle l'ait choisi lui plutôt que toi, mais...

Mon sang ne fait qu'un tour dans mes veines.

    —Il m'a humilié, hurlais-je en me levant. Il est venu dans mon bureau, avec un sourire charmeur et sa cravate bien serrée autour du cou. Il a acheté l'ensemble de mes projets qui portaient sur elle, il m'a fait passé un contrat qui stipulait que chacune de mes œuvres la concernant devait lui appartenir. Je l'ai cru, je l'ai cru ! répétais-je.
    —Liam, je ne...
    —Il prétendait la voir dans ses rêves mais ne pas la connaître, il doutait de sa putain d'existence. Je l'ai invité à venir avec moi au mariage, à son propre mariage putain ! Il est rentré avec moi dans cette église et c'est avec elle qu'il est reparti. Il m'a laissé sur ce banc être témoin de leur union, de leur bonheur qui m'a explosé au nez. J'étais incapable de dire quoi que ce soit, de faire quoi que ce soit. Lorsque je suis sorti de cette église, je me suis ouvert le crâne en tombant des marches.
    —C'est là que je t'ai trouvé.
    —Tu aurais dû me laisser crevé là-bas.

    Mon ton est cinglant, amer et blessant. Il se relève et s'approche de moi mais je recule. Je ne pourrais pas supporter le contact de sa peau sur la mienne, c'est à peine si je peux le regarder dans les yeux. Je suis déçu et blessé mais je ne devrais pas l'être. Les trahisons ont toujours été courantes dans ma vie. Tout cela me semble insensé. Stan qui côtoie quotidiennement la seule femme que j'ai aimée alors qu'il est celui à qui je donne mon corps en un regard et quelques mots crus. Il est collègue et ami avec celui qui m'a trahi et volé l'amour de ma vie. Comment pourrais-je rester avec lui dans la même pièce ? S'il n'est pas responsable de mon malheur, ses mensonges sont comme un coup-de-poing en pleine poitrine.
Devant mon silence, il reprend où il s'était arrêté avec un calme qui n'est propre qu'à lui.

    —Je ne vois pas pourquoi tu te met dans un tel état. Je croyais qu'Adaliah n'était plus ta muse et...
    —ELLE LE BAISAIT LUI PENDANT QUE JE TE BAISAIS TOI.

    Il y a ces sons que vous êtes le seul à pouvoir entendre ou que vous êtes le seul à avoir entendu. Ce n'est pas le cas en ce qui nous concerne, Stan et moi. Je l'ai entendu, bien plus clairement que je ne l'aurais voulu. Quant à lui, disons simplement qu'il en est à l'origine. Ma colère ne disparaît pas comme je l'aurais souhaité mais se complète avec une vague de culpabilité qui fait un ravage. Je ne contrôle plus rien, ni mes pensées, ni cette soirée, ni ma vie, pour être tout à fait honnête.

    —Tu as raison, dit-il simplement. J'aurais peut-être dû te laisser crever sur le sol devant cette église.

    Lorsqu'il attrapa son t-shirt et quitta mon appartement, ce n'était pas le son de la porte d'entrée qui claque qui résonna dans ma tête.
C'était le bruit de son cœur brisé.

ADALIAH [bxb]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant