Chapitre 26

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Minho est la seule personne qu'Elizabeth prend le temps de présenter, comme si elle avait peur que je ne lui saute à la gorge à peine a-t-il passé la porte. Je la remercie d'un signe de tête avant de me rasseoir sur le fauteuil de mon bureau, le regard rivé sur lui. Je ne me gêne pas pour le regarder de haut en bas puis de bas en haut d'un air aussi méprisant que possible. Je ne peux plus dire que le voir en costume me fait un effet aussi fort que lorsqu'il a passé la porte de mon bureau pour la première fois. Si je le juge impunément, lui reste impassible.

    —Liam.
    —C'est monsieur Leclerc, le corrigeais-je.
    —Évidemment, maugréa-t-il. J'aimerais que nous parlions affaires.
    —Oh non, pas une nouvelle fois. Faire affaire avec toi ne m'intéresse pas.
    —Pourriez-vous me vouvoyer, s'il vous plaît ? Je préférerais que nous restions professionnels.
    —Tu me vouvoies, et je te méprise. Mon bureau, mes règles.

Il me foudroya du regard, ce qui ne me fit que sourire.

    —Je ne suis pas ici en mon nom. Je suis le représentant de monsieur Dubois Stanislas. Il voudrait faire affaire avec vous.
    —Stan est dans l'investissement immobilier, tu devrais le savoir en tant que conseiller.
    —Il m'a demandé conseil pour investir dans le marché de l'art. Son choix s'est porté sur vous et vos projets, d'où ma présence ici.
    —Bien. Tu as toute mon attention.

    Minho m'explique les projets de Stan, ses envies et ses ambitions. Je lui en veux quelques peu de ne pas être venu en discuté en personne avec moi mais sans doute n'est-il toujours pas prêt à me pardonner. Pourtant, l'envoi de Minho n'était pas un bon calcul de sa part. Il est la dernière personne que j'ai envie de voir.

    —Très bien. Tu diras à monsieur Dubois, dis-je d'un ton ironique, que je ne souhaite pas faire affaire avec lui mais que je le remercie chaleureusement de sa proposition. Quant à toi, je ne te remercie pas pour le déplacement. Au plaisir de ne jamais te revoir, bonne journée.

    Je bondis presque de mon siège, déjà prêt à prendre la route jusque chez moi. Cependant, Minho ne bouge pas d'un pouce et je comprends rapidement que son petit discours n'est pas fini. Je reprends donc place dans mon fauteuil, l'air blasé.

    —Monsieur Dubois savait pertinemment que vous refuseriez, finit-il par dire. Je suis celui qui a insisté pour venir.
    —Qu'est-ce que tu veux, Choi ?
    —Ne t'attends pas à ce que je m'excuse de quoi que ce soit, dit-il simplement en sachant pertinemment qu'il n'est plus question de relations purement professionnelles. J'aime Adaliah.
    —Qui fait ou ne fait pas ton bonheur n'est pas quelque chose qui me regarde. Si tu n'es pas ici en tant que représentant des volontés de Stan, alors tu peux te lever et partir. Je serais ravi de t'ouvrir la porte, dis-je en me levant.
    —Adaliah est enceinte.

    Mes oreilles sifflent. Cette nouvelle ne devrait pas me surprendre. Lui et Adaliah sont ensemble depuis plusieurs années déjà et mariés depuis plus d'un an et demi. J'aurais dû me douter que ce jour finisse par arrivé, mais je n'avais pas envisagé le fait d'être mis au courant. Ils n'ont aucune raison de le faire. Ce n'est pas comme s'ils avaient prévu de me choisir comme parrain de l'enfant. En le regardant, je n'ai même pas l'envie de le frapper. Je ne suis pas empli d'une terrible colère, ni même d'une tristesse insoluble. Je ne ressens rien, si ce n'est une pointe de jalousie. Je ne parviens qu'à lâcher un « félicitations », à peine audible. Il me tend alors sa main, que je ne serre pas, avant de la laisser retomber et de quitter mon bureau sans ajouter quoi que ce soit.
    Je me laisse tomber dans mon fauteuil, le corps à moitié sur le sol. Mes yeux rivés sur le plafond, j'imagine le corps frêle d'Adaliah portant un bébé. Je l'imagine le ventre rond, l'air ravissant qui n'est propre qu'aux femmes enceintes, ses pleurs en apprenant la nouvelle. Je souris en imaginant qu'elle doit faire partie de ceux qui ne veulent pas connaître le sexe de l'enfant avant la naissance. Peut-être qu'elle était venue me trouver pour me l'annoncer elle-même hier soir. Mes mots l'en ont sans doute dissuadé. Peut-être qu'elle attendait de moi que je lui dise que j'aime Stanislas, que je me sens bien avec lui, pour qu'elle puisse enfin me parler comme à un ami. Je ne vois pas d'autre explication.
    Elizabeth se précipite dans mon bureau, prête à ce que je lui énonce chacun des propos de Minho. En me voyant à moitié allongé sur le sol, un sourire aux lèvres, elle vérifie que je ne suis pas blessé. Seulement, ses mains sur mon corps ne me font que de le chatouiller et je finis par m'étendre complètement sur le sol. Je l'entraîne dans la chute.

    —Adaliah est enceinte, lui dis-je.
    —Comment vous sentez-vous ?
    —Je vais bien. Je suis même un peu jaloux, en fait.
    —Jaloux de ne pas être enceinte ? Beaucoup de femmes vous diront qu'il n'y a rien à envié au fait d'être enceinte.
    —Je doute devenir père un jour. J'adore les enfants, pourtant.
    —Vous feriez un très bon père.
    —Je sais, dis-je en souriant bêtement. J'apprendrai à mon enfant à nager, à faire du vélo, à s'exprimer par le biais de l'art s'il le souhaite. J'apprendrai à faire de bons gâteaux, je lui lirai des histoires avant de dormir et nous irions jouer au ballon au parc.
    —Comment vous sentez-vous ? demanda-t-elle à nouveau.
    —Incomplet et seul.

    Elizabeth attrape ma main et la presse doucement. Les larmes perlent aux coins de mes yeux alors que mon sourire ne s'évanouit pas. Elle reste ainsi avec moi pendant ce qui me semble être des heures. Jusqu'à ce que le soleil laisse entièrement place à la lune et à ses étoiles. Ni elle ni moi n'avons besoin de dire quoi que ce soit. Je ne sais pas de quoi ses pensées sont remplis mais les miennes ne sont destinées qu'à cet enfant dont je ne serais jamais le père.
    J'aurais aimé avoir la chance de ne pas être comme mes parents ont été avec moi. J'aurais voulu être l'exemple et le héros de quelqu'un, devoir aller à des réunions parents-professeurs en ne faisant que me plaindre, ou même aller aux spectacles de fin d'année et y filmer chaque performance.
Seulement, tout n'est qu'illusion. Je ne serai jamais père.

ADALIAH [bxb]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant