Chapitre 41

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Son masque ne tombe qu'un instant. En une seconde à peine, elle redevient la femme que j'ai toujours connu. Son air autant me révulse mais avant que je n'ai le temps de dire quoi que ce soit, elle me souhaite un bon voyage et me claque la porte au nez. Étrangement, mon cœur ne se brise pas. Ce n'est pas comme si je m'attendais à ce qu'elle me serre dans ses bras et s'excuse. Je n'avais aucune attente particulière en venant ici, mais je reconnais que j'aurais aimé partir sur une note un peu moins brutale.

    —Je ne sais pas si je te reverrai un jour, dis-je à travers la porte sans même savoir si elle m'entend. J'espère qu'en me sachant loin de toi, loin de papa, tu seras plus... en paix.

Alors que je marche jusqu'à la voiture, elle ouvre la porte d'entrée.

    —Quand tu reviendras, je serai probablement morte.
    —Je sais.
    —Liam, m'appelle-t-elle comme si j'avais quitté son jardin. Est-ce que tu viendras me voir sur mon lit de mort ?
    —Je ne sais pas. Est-ce que tu veux que je vienne ?
    —Non, finit-elle par décréter.
    —Est-ce que tu es malade ?
    —Si je te réponds que oui, est-ce que tu resterais ?
    —Non.
    —Alors ne pose pas de questions inutiles.

    Tout cet échange pacifique me semble surréaliste. Cela fait des années que ma mère et moi n'avons pas eu de conversation sans qu'il ne soit question de hurlements, de dégoût ou de reproches. S'il est clair que notre discussion n'a rien de naturel, le simple fait qu'elle ait lieu dans le calme me suffit amplement.

    —Dans ce cas, je vais y aller.
    —Où est-ce que tu vas ? demande-t-elle.
    —Est-ce que ça t'intéresse ?
    —Non.
    —Alors ne pose pas de questions inutiles.

    Ses yeux me sourient alors que je lui tourne le dos. J'ai le cœur léger mais douloureux. Avant que je ne monte dans la voiture, elle me pose une dernière question.

    —Est-ce que tu me détestes ?

    Je lui souris, l'air amusé. Elle n'a pas besoin que je lui répondes quoi que ce soit. Elle connaît déjà ma réponse. Elle sourit à son tour, comme si sa question la rendait fière. Stanislas pose sa main sur ma cuisse avant de prendre la route, puis me demande si tout s'est bien passé. Je hoche simplement la tête. Je ne pense pas qu'il y ait grand-chose à dire. Il ne la connaît pas, et bien qu'il sache ce qu'elle ait pu me faire, je veux qu'il reste neutre. Puis, il ne la connaîtra jamais. Je n'ai personne à lui présenter : mon père est mort, je suis fils unique, je n'ai aucun ami à part Elizabeth, et encore, c'est uniquement parce qu'elle travaille pour moi.

    Quelques heures plus tard, nous arrivons à l'aéroport avec nos dernières valises. C'est étrange de réaliser que je ne viendrais plus ici que pour des occasions particulières, que je ne remettrai sûrement jamais les pieds dans mon appartement. Enfin, « jamais » est peut-être un grand mot. Après tout, je le loue à Elizabeth, et non à un inconnu.
    Un sentiment de nostalgie s'empare peu à peu de moi. C'est la fin d'une ère. Je ne travaillerai plus jamais dans mon atelier, je n'irai plus jamais acheter mon café dans cette petite épicerie au coin de la rue, je ne m'allongerai plus jamais sur le bitume devant la fameuse Église. Il y a tout un tas de choses auxquelles je dois dire adieu. Des personnes. Des lieux. Des habitudes. Tout un quotidien, en réalité. Tous ces souvenirs que j'ai ici, c'est comme s'ils étaient sur le point de disparaître de ma mémoire. Cette simple idée me terrifie.

    —J'ai peur, finis-je par dire avant que nous ne décollions.
    —Je ne savais pas que tu avais peur de prendre l'avion.
    —Non, ce n'est pas ça. J'ai peur de partir d'ici, de cette ville, de ce pays. Et si nous faisions une erreur ? Il n'y aura plus que nous là-bas. Je ne pourrais plus aller me plaindre à Elizabeth de ton absence, et tu n'auras plus de discussion avec Minho.
    —J'ai peur, moi aussi, avoue-t-il en prenant ma main. Seulement, le fait qu'il n'y ait que nous ne va durer qu'un temps. Notre famille va s'agrandir, ne l'oublie pas.
    —Est-ce que tu penses qu'on sera des bons parents ?

    Ma question semble le surprendre. Il fronce les sourcils et embrasse mon front. Alors que l'avion prend de l'élan pour décoller, Stanislas m'énonce toutes les raisons qui font que nous serons de bons parents. Il commence par me dire que nous nous aimons et qu'être parents ne fera que renforcer les liens que nous avons créer. Il rit en me disant que je les initierai à l'art, notamment à la peinture, et que je râlerai sans doute parce qu'ils mettront sans aucun doute de la peinture sur les murs de la maison. Il me parle des goûters d'anniversaire qu'on devra organiser et des déguisements idiots qu'on devra sans doute porter. Toutefois, il me précise qu'on le fera avec un grand sourire, par amour. L'amour l'emportera toujours.
    Lorsque mon regard trouve le sien, mes doutes s'évaporent. Il a raison. Nous faisons le bon choix. Sa main presse doucement la mienne, et je laisse retomber ma tête. Je souris en réalisant tout le chemin que nous avons parcouru, lui et moi. En le rencontrant devant cette église, je ne me doutais pas que je voudrais l'y emmener un jour pour qu'il porte mon nom, que nous quitterions le pays pour pouvoir fonder notre propre famille, ou plus simplement, que nous serions heureux ensemble.
    Le profil de Stanislas complète la vue angélique et irréelle que j'ai en ce moment même. Les nuages, le ciel bleu, lui. Pourtant, je sens encore mon cœur battre dans ma poitrine. J'ai la chance d'être témoin d'une partie du paradis sans en faire partie.
Stanislas se tourne vers moi, les joues rougies, les sourcils haussés.

    —Et si nous allions le faire dans les toilettes de l'avion ? dit-il d'un air charmeur.
    —Tu n'es qu'un pur obsédé.

    Il éclate d'un rire franc. J'aime la manière dont il est toujours lui-même, peu importe l'endroit ou la situation dans laquelle nous nous trouvons.

    —Je t'aime, Stan.
    —Je t'aime, Liam.

Ses yeux me sourient. Il se penche vers moi et murmure à mon oreille.

    —Retrouve-moi dans les toilettes du fond dans deux minutes.

    Il se lève et me fait un clin d'œil alors que cette fois, c'est moi qui éclate d'un rire franc. Je le regarde partir, de l'amour plein les yeux et plein le cœur. Puis, c'est là que je réalise et en une seconde à peine, un sourire éclaire mon visage. Il est si grand et si sincère que j'en ai mal aux joues. Des larmes roulent le long de mon visage.
Je suis heureux.
Je suis enfin heureux.

ADALIAH [bxb]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant