Chapitre 34

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J'ai souvent entendu dire qu'il y avait un moment particulier durant lequel on réalise à quel point on est sous le charme d'une personne, à quel point on l'aime. Cela n'arrive pas pour tous les couples, mais ce n'est apparemment pas une légende. Je ne me souviens pas avoir ressenti cela pour Adaliah. Lorsque j'exposais les tableaux de la collection « Ada », on me demandait souvent à quel moment j'ai réalisé que c'était elle et personne d'autre mais je n'ai jamais su répondre. Ce sont pleins de petits moments qui font que je suis tombé sous son charme. Évidemment, je l'ai regardé avec des étoiles et de l'amour dans les yeux, et j'ai pensé que je l'aimais, parce que c'était le cas, bien sûr, et ça le sera toujours.
    Je n'ai pas tout de suite compris ce qu'il se passait. Il m'a fallu quelques secondes. En fait, non. Il m'a fallu plusieurs minutes avant que je ne réalise. Ses boucles brunes lui tombent sur le visage, ses mains veineuses sont agrippées aux rebords de la baignoire et la moitié de son torse est couvert par la mousse. La vue derrière lui est tout aussi splendide qu'il ne l'est. Ses paupières fermées lui donnent un air fragile et vulnérable, comme s'il était une poupée en verre qu'il ne fallait absolument pas faire tomber. Pourtant, je suis bien placé pour savoir que Stanislas n'a rien d'une personne fragile. C'est lorsqu'il a de nouveau ouvert les yeux que c'est arrivé. C'est là, à ce moment précis où ses yeux ont rencontrés les miens que j'ai su.
    J'aime Stanislas. Je l'aime parce que je me sens heureux rien qu'en le regardant, parce que je ne ressens aucune gêne à être nu face à lui, parce que je pourrais lui dire les choses les plus stupides au monde, il ne me jugerait pas. Il a des qualités que je n'ai pas et que je n'aurais jamais. Je l'aime parce que lorsque je regarde la lune, il regarde les étoiles. Lorsqu'il voit les collines en été, je vois les collines en hiver. Lorsque je vois des milliers de messages, il ne voit que de simples œuvres d'art. C'est comme s'il était le levé du soleil et moi le coucher, comme s'il était l'odeur de la lavande sur les draps en été et moi l'odeur d'un bon feu de cheminée. Je l'aime, oui. Je l'aime parce qu'il n'est rien de ce que je suis.
Pourtant, je ne lui dis pas.

    Malgré ma bisexualité, j'ai toujours envisagé le fait de finir ma vie avec une femme et qu'elle serait sans doute brune aux yeux marron, comme l'est Adaliah. Elle était la seule avec qui je voyais mon avenir : une maison, des enfants, des voyages. À l'heure d'aujourd'hui, je n'ai rien de tout ça. Pour autant, je n'ai jamais été aussi heureux. Stanislas a été à la fois comme une claque et une bouffée d'air frais. Il est la personne qui me fait le plus sourire, qui connaît chaque partie de mon corps, et qui panse chacune de mes blessures internes alors qu'il n'en est même pas l'auteur. Je n'ai aucune raison de vouloir trouvée mieux. La vérité, c'est que je ne trouverai pas quelqu'un qui m'aime autant que lui m'aime, même en passant ma vie entière à chercher. En étant avec lui, je suis conscient d'avoir dû renoncer à certaines choses que j'ai toujours voulu. J'aime seulement croire que l'amour apaisera mes envies. L'amour de ma vie peut tout aussi être du même sexe que moi. L'amour n'a aucune limite, ce sont les Hommes qui lui en imposent.
Je lui souris tendrement.

    —Est-ce que tu veux des enfants ? demandais-je.
    —Je ne me suis jamais posé la question.
    —Oh.
    —Avoir des enfants dans mon cas... ne serait possible que par l'adoption. J'aimerais voyager, avoir une grande maison et être heureux. Je n'ai jamais vu d'enfant dans mes projets d'avenir, finit-il par admettre.
    —Je veux des enfants. Deux, au minimum. Je veux avoir un bébé dans mes bras et lui promettre d'être un meilleur père que le mien ne l'a été. Je veux accompagner ma fille devant l'autel le jour de son mariage, si elle veut se marier, et tenter vainement de ne pas fondre en larmes. Je sais que ce ne sont pas tes rêves, ajoutais-je d'une voix plus basse, les yeux remplis de larmes. Mais ce sont les miens.
     —Non. Ce sont les nôtres.

    À l'entente de sa réponse, mon cœur s'arrête de battre. Je comprends alors que Stan est prêt à me donner le monde entier, quitte à se ruiner ou à mettre de côté ses propres rêves. Il est prêt à tout, à tout ce qui est inimaginable et insensé, juste parce que c'est moi. Moi, ce garçon qui peine à se regarder dans le miroir, ce garçon qui n'a pas confiance en son travail, ce garçon qui ne l'aurait même pas choisi dans une pièce rempli de personnes si elle, était là, il y a encore quelques mois de cela. Plus je le regarde, plus je sais que je n'ai pas besoin de vivre pour l'aimer. Je l'aimerai jusque dans la mort, qu'on soit aux portes de l'enfer ou du paradis.

    —Ce n'est pas parce que je n'ai jamais vu d'enfants dans mes projets d'avenir que je n'en veux pas. Je n'avais encore jamais rencontré aucun homme qui voulait devenir père. Si c'est ce que tu veux, alors nous aurons des enfants. Je sais que tu seras un père merveilleux.
    —Stanislas, tu n'es pas obligé de...
    —Est-ce que tu voudrais plusieurs garçons ou plusieurs filles ? Tu as des idées de prénoms ? Personnellement, j'aime beaucoup Zoé pour une petite fille.

    Les larmes roulent sur mes joues. Tout cela ne peut pas être réel. Nous échangeons nos places et je m'adosse contre son torse, les yeux rivés sur les montagnes couvertes de neige. Ses mains dessinent des cercles sur mes bras alors qu'il m'énonce des prénoms au hasard en me demandant si j'aime ou si je le déteste.

    —Tu renonces à tes rêves, lui dis-je.
    —Je ne renonce à rien du tout. Voyager et avoir une grande maison ne sont pas des rêves utopiques. Ils sont réalisables avec ou sans enfants.
    —Et être heureux ?
    —Je le suis déjà, Liam. Tu me rends heureux.

    Il m'embrasse le front.

    —Nous pourrions avoir une jolie maison avec un grand jardin. On y installerait des balançoires, et il y aurait des jouets qui traînent partout dans la cour, dit-il dans le creux de mon oreille. On irait se promener au parc le dimanche et ils nous supplieront d'adopter un chien, et on refusera longtemps avant de finir par céder par amour.            
    —Par amour, répétais-je.

    Il m'embrasse à nouveau le front.

    —Pourquoi t'obstines-tu à embrasser mon front alors que tu pourrais tout aussi bien m'embrasser partout ailleurs ?
    —Je veux que tu y aies une marque dans ta prochaine vie, comme ça je te retrouverai plus facilement et t'aimerai à nouveau.

    Je me tourne pour lui faire face. Il me sourit tendrement et je me penche pour l'embrasser langoureusement.
Je l'aime. Je l'aime. Je l'aime.

ADALIAH [bxb]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant