Chapitre 16

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Nous restons de longues minutes à nous regarder sans rien dire, laissant le monde tourner sans que le nôtre ne semble le faire. Je suis heureux de le revoir sous ses traits angéliques, et non couvert d'hématomes comme le jour où je l'ai laissé. Ses lèvres pleines et roses s'étirent en un sourire alors que je cherche à nouveau son regard, ce qui n'est pas difficile à faire.

    —Est-ce que ce sont nos mains ?
    —De quoi est-ce que tu parles ?
    —De ton tableau. Est-ce que ce sont nos mains ? Je suis d'accord avec la petite dame. Ce sont deux mains d'hommes. Je voulais savoir si...
    —J'ai compris, le coupais-je. Non. Non, ce ne sont pas les nôtres.
    —Tu l'as pourtant peint il y a un an environ. C'était pile après que nous nous soyons connus, tu te souviens ?

Bien sûr que je me souviens, comment pourrais-je oublié ?

    —Tu n'es pas le seul que j'ai connu durant cette période.

    Touché. Son sourire disparaît et je m'en veux quelques secondes. Un an que nous ne nous sommes pas vu et l'amertume de mes mots me fait déjà défaut. Seulement, je n'ai pas l'intention de lui dire que tous mes coups d'un soir n'ont été synonymes que de frustration, nullité, ennui. Qui plus est, je n'ai recouché qu'avec deux hommes depuis la nuit que nous avons passé ensemble et ça n'avait rien de comparable. Rien n'était aussi plaisant que si ça avait été lui. Mais il n'était pas là.
    Il m'invite à sortir de la galerie et je m'exécute docilement, prêt à écouter ses excuses pour ne jamais avoir appelé, pour ne jamais avoir envoyé un message. Pas une seule fois.

    —Tu te demandes sans doute ce que je fais ici, finit-il par lâcher.
    —Non.
    —Alors pourquoi m'as-tu suivi ?
    —Je ne sais pas, mentis-je.
    —Je suis désolé de ne pas avoir donner de nouvelles. J'espère que tu n'as pas cru que j'étais mort au moins. Je suis bien réel, je t'assure. Touche-moi. Vas-y touche mon bras, insiste-t-il.
    —Qu'est-ce que tu veux Stan ?
    —Toi.
    —Ce petit jeu ne fonctionnera pas. Tu ne peux pas ne pas donné de nouvelles pendant un an, revenir quand bon te semble et me dire que tu me veux moi. Qu'est-ce que tu veux vraiment ? Je n'ai pas le temps de jouer aux devinettes.
    —Je suis vraiment désolé. Allons dîner ensemble, s'il te plaît. Je te raconterai ce qui s'est passé ce jour-là et pourquoi je n'ai jamais appelé.

    Ma curiosité l'emporte facilement sur ma raison et j'accepte. Il me remercie et nous prenons le chemin vers le centre de la ville en coupant à travers le parc. Il marche la tête levée vers le ciel, et je ne peux m'empêcher de l'admirer du coin de l'œil. J'avais presque oublié certains de ses traits. Je savoure toujours autant la beauté de son nez bien droit. Lorsqu'il jette un œil sur moi, je ne me détourne pas. Je ne lui donnerai pas cette satisfaction.

    —Est-ce que tu crois en la réincarnation ?
    —Oui, dis-je simplement.
    —Tu ne veux pas développer un petit peu ? Tu étais plus bavard dans mes souvenirs.
    —Je crois que l'on a plusieurs vies. Disons neuf, soit deux de plus que les chats. A la fin de chacune d'elle, je pense que l'on se réincarne en quelque chose ou en quelqu'un. Lorsqu'elles se sont toutes écoulées, je pense qu'il existe un endroit où les âmes se retrouvent.

Je fais écho à la vieille dame de la galerie, ce qui me fit sourire seul.

    —Comme le paradis et l'enfer ?
    —Un endroit où les âmes se retrouvent, répétais-je. Tout le monde n'a pas la même notion du bien et du mal. Puis, le paradis et l'enfer renvoient à la religion. Moi, je te parle d'un endroit dans lequel n'importe qui, peu importe la religion ou son absence, se retrouve.
Il semble réfléchir quelques secondes.

    —Pourquoi n'as-tu jamais peint cet endroit s'il t'est aussi clair de le décrire ?
    —Il est facile à décrire mais impossible à imaginé. Je ne peux pas décrire un endroit dans lequel les âmes s'entassent. Ce serait ridiculement mauvais comme production.

    Il n'ajoute rien et se contente de ma réponse. Toutefois, je sais qu'il y pense encore. En fait, il y pense encore, même une fois que nous sommes assis face à face dans le restaurant. Je suis incapable de le blâmer puisque cette discussion me marque, moi aussi. En quoi est-ce que je me réincarnerais si je le pouvais ? Sans doute une paire d'yeux pour découvrir le monde sous un autre angle, avec quelqu'un qui pense différemment de moi et qui n'a pas été témoin de toutes mes horreurs. Ou bien, peut-être en tant qu'artiste à nouveau, en ayant la conviction d'être encore plus grand que celui que j'ai été dans cette vie. Je pourrais être ce que je veux, qui je veux. Mais ça n'arrivera pas. Si nous avons réellement neuf vies, alors celle-ci est ma dernière. Je ne saurais comment l'expliquer, ni même quand ce sentiment est né. Mais il est bien là.
    Peut-être que dans une de mes vies, Adaliah était mon âme-sœur et que c'est la raison pour laquelle je l'ai cherché et amené dans le monde entier à travers mes œuvres. Peut-être que j'avais besoin de cette dernière vie pour mettre un terme au cycle. J'erre sans but. Je n'ai rien qui me pousse à vouloir me réincarner. Je n'ai pas de vrais amis. Plus de famille. Aucun amant. Je ne vis qu'à travers le sexe et la peinture, quelle tristesse. Si au moins j'avais quelques projets de vie.

    —N'essaye pas de gagner du temps en me faisant perdre le mien, dis-je lorsque le serveur apporte nos verres de vin.
    —Ce n'est pas ce que j'essaie de faire.
    —Alors commence ton récit.

    Sur ces mots, je lève mon verre.

ADALIAH [bxb]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant