Chapitre 23

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Il attendait patiemment que je dise quelque chose, en vain. Ma course m'avait essoufflé et son air nonchalant, surpris. Je n'ai pas pour habitude de le voir avec un visage aussi peu accueillant, sans sourire et sans passion qui anime son regard.

    —Te voilà en enfer alors que personne ne se marie et que personne n'est mort, constata-t-il. Il me semblait pourtant qu'il s'agissait des deux seules raisons qui pouvaient te faire revenir ici.
    —Tu avais raison. Ce n'est pas l'enfer ici, à part ma mère peut-être. Enfin non, à part ma mère bien sûr mais ce n'est pas le sujet, dis-je à bout de souffle. Je suis désolé. Je suis désolé de ce que je t'ai dit, de t'avoir rencontré et merde, j'ai oublié la suite, dis-je en passant une main dans mes cheveux. J'ai répété durant tout le trajet mais je...
    —Tu n'avais pas besoin de faire toute cette route juste pour ces quelques mots.
    —Si, bien sûr que si, dis-je en faisant deux pas vers lui. Avoir passé la soirée avec toi, le jour du mariage, a été la meilleure chose qui aurait pu m'arriver. Tu as été cette bouffée d'oxygène qui m'a fait respirer et me sentir vivant. Tu m'as fait me sentir vivant lorsque j'avais l'impression de mourir et je ne saurais jamais comment te remercier pour ça. Je ne parle pas du sexe. C'était bon, bien sûr, mais... C'était avant tout la manière dont tout était naturel entre nous, comme si nous étions des amis de longue date.
    —Ce n'est pas ce que tu laissais sous-entendre la dernière fois.
    —Pardonne-moi, s'il te plaît.
    —Je n'en ai pas envie, admet-il.
    —Je t'ai peint. Le soir où je t'ai dit ces mots que je ne pensais pas, j'ai terminé ce que j'avais commencé. Ou du moins, les semaines qui ont suivies. L'été tout entier en fait. Je n'avais même plus besoin de regarder les photos pour te voir.
    —Cela ne change rien. Tu ne peux pas venir ici et me dire tous ces beaux mots dans le seul but de te sentir moins coupable. Tu m'as fait me sentir comme si je n'étais qu'un moins-que-rien, comme si je n'avais aucune valeur et que je ne serais jamais qu'un vulgaire remplaçant de celle que tu veux vraiment.

    Sa voix s'était brisée en prononçant ces mots. L'impact que j'avais eu sur lui est bien pire que ce à quoi je m'attendais et mon sentiment de culpabilité n'en est que plus renforcé. Je ne sais pas quoi dire, je ne sais pas quoi faire pour que les choses s'arrangent entre nous. J'aimerais que tout s'arrange et pourtant, tout ne semble faire qu'empirer lorsqu'un homme à la chevelure blonde, presque blanche, sort de la voiture. Il est encore plus grand que moi, et plus fort aussi, ça ne fait aucun doute.
    Stanislas me regarde du coin de l'œil, attendant sans doute une réaction de ma part. Son visage est toujours impassible et je comprends rapidement que je suis celui qui pose problème ici. Ma présente rend l'atmosphère lourde et gênante, mais l'homme dont je ne connais pas le prénom ne semble pas le remarquer et me sourit chaleureusement.

    —Oscar.
    —Liam, réponds-je en serrant la main qu'il me tend. Liam Leclerc.
    —Je ne savais pas que Stanislas avait invité quelqu'un d'autre.
    —Stan, le corrigeais-je. Stan ne m'a pas invité.

    Oscar fronce les sourcils tandis que Stan secoue la tête, comme pour me signifier de ne pas m'engager sur ce terrain. Oscar finit par nous laisser en précisant qu'il ne voulait pas être malade et embrasse Stan sur le front avant de disparaître. J'ai un pincement encore lorsque ce dernier lui sourit en retour.

    —Je vais y aller, moi aussi. Encore désolé, Stan.
    —Pourquoi ne veux-tu pas te marier ? me demanda-t-il une fois que je lui tourné le dos.

    Je pourrais lui mentir et lui dire qu'à mes yeux, il ne s'agit que d'un bout de papier inutile. Je pourrais aussi lui dire que la seule personne que j'ai aimée de tout mon être s'est mariée sous mes yeux, le jour où je l'ai rencontré lui. Peut-être devrais-je préciser que nous vivons dans un monde dans lequel il est plus facile de divorcer que de se marier.
    La vérité est la suivante : je n'ai rien à offrir. Bien sûr, j'ai des biens matériels et de l'argent et même si cela suffit à la plupart des gens, ce n'est pas ce que j'ai envie d'offrir. Fût un temps où j'avais envie de me marié, lorsque je n'étais encore qu'un enfant, un adolescent. En grandissant, j'ai vu mes relations familiales se dégrader les unes après les autres et j'ai perdu chacune de mes relations sociales. À l'heure d'aujourd'hui, je n'ai ni famille ni amis à présenter à la personne qui partagera ma vie. Si la solitude me convient parfaitement, aussi bien sur le plan familial qu'amical, ce n'est pas quelque chose que je veux imposer à qui que ce soit.
Je ne veux pas réaliser à quel point je suis seul le jour qui sera censé être le plus beau de ma vie.
    Je suis prêt à m'engager dans une relation mais ce ne sera qu'avec quelqu'un qui sera aussi indépendant que moi. Si jamais je rencontrais quelqu'un qui aurait de bons liens avec sa famille, alors je pense que je ne me sentirai jamais vraiment à ma place. Même si sa famille prétend m'aimer et m'adopter, dans le fond, si les choses venaient à se compliquer, le choix pour eux serait vite fait. Je ne ferai que constater encore plus à quel point je suis seul, à quel point je n'ai personne.
Stan attend patiemment ma réponse.

    —Le mariage est le début de la fin. Le peu de personnes s'étant mariées dans mon entourage ont toutes fini par divorcées.
    —Tu as peur, nota-t-il.
    —Oui.
    —De quoi ?
    —Que la personne se réveille un matin en réalisant que je ne suis pas l'homme qu'elle a rêvée d'épousé et que je ne pourrais jamais lui offrir une famille aimante et dramatique comme dans tous ces films à l'eau de rose.
    —Si elle te choisit toi en tant qu'époux, c'est parce qu'elle sait que tu as plus à lui offrir que n'importe quel homme qu'elle aura rencontré avant toi.
    —Pourquoi est-ce que tu me dis tout ça ?
    —Ne dis plus jamais que tu es désolé pour moi de t'avoir rencontré.
    —Alors tu me pardonnes ? demandais-je.

    Seulement, il était déjà rentré.

ADALIAH [bxb]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant