Chapitre 5

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Je me souviens. Je me souviens de tout. Je n'ai rien oublié de ce qui s'est passé hier et pour la première fois depuis des semaines, je suis déçu. D'une certaine manière, j'aurais préféré avoir oublié ses mots, sa voix. Si je le pouvais, je ne garderais en mémoire que son visage. Pourtant, j'ai rêvé un nombre incalculable de fois de la retrouver mais la douleur de l'invitation de son mariage est presque insoutenable. Je suis forcé de reconnaître que le bonheur d'Adaliah m'éclate au visage. Ce n'est pas cet éclat qui me fait mal, c'est le fait que je n'en sois en rien responsable. J'aurais aimé être celui qui se lève chaque matin à ses côtés, être celui qui connaît chacun de ses points faibles et de ses petites mimiques. J'aurais aimé être celui qui la fait rire à en pleurer, être son meilleur ami et son mari. Seulement, je ne suis qu'une vieille connaissance. Rien de plus.
    Inconsciemment, je me retrouve avec mon téléphone contre mon oreille. Si je suis forcé d'allé à ce mariage, je refuse catégoriquement d'y aller seul. Je ne suis nullement surprise qu'Elizabeth refuse de m'y accompagner lorsque je lui explique la situation. Elle n'avait pas tort lorsqu'elle a dit que je ne saurais jamais l'aimer de la manière dont elle voulait être aimée. Mon amour pour elle ne serait toujours qu'inférieur à celui que j'éprouve pour Adaliah et je m'en veux quelques instants de le lui avoir rappelé. Mon geste était maladroit. J'aurais aimé savoir l'aimé, la rendre heureuse comme elle le fait avec moi. Elizabeth est une femme bien et mon envie de la protéger est grande. C'est la raison pour laquelle notre relation ne doit rester que purement professionnelle. Dans le fond, je suis heureux qu'elle n'ait jamais accepté de prendre un verre avec moi. Si elle avait accepté, j'aurais trahi ma propre promesse. Il n'y a pas de plus grande tristesse que de réalisé que c'est de moi-même, avant tout autre, qu'il faut que je la protège.
    Mes doigts glissent sur l'écran de mon téléphone et quelques secondes plus tard, j'ai Minho Choi à l'autre bout du fil. Je l'appelle comme un ami à qui je demanderai un service, mais je n'omets pas de lui faire du rentre-dedans. Je n'ai quand même pas oublié le genre d'homme auquel j'avais affaire. Minho n'est pas quelqu'un que l'on oublie facilement. Il a un charisme et un charme naturel qui sont indéniables. C'est sans doute ce qui me pousse à lui expliquer la situation dans laquelle je me trouve : la mort de mon père alors que j'étais venu rendre un dernier hommage à mon père, l'invitation au mariage, le mariage dans sa globalité. Lorsque je lui demande de m'y accompagner, son silence est sa seule réponse. Plusieurs minutes passent avant qu'il n'accepte.
    J'aimerais croire qu'il ne vient que pour moi, que dans le but de me faire plaisir, de me soutenir dans cette situation difficile. Je me berne d'illusions parce que la réalité est la suivante : Minho ne vient que parce que je lui sers sur un plateau d'argent la preuve de la réalité de la femme qu'il voit dans ses rêves. Si le bonheur d'Adaliah m'explose au visage, alors il explosera aussi au visage de Minho. Je ne nie pas l'égoïsme de mon geste, mais pour être honnête, je ne ressens aucune culpabilité.

    Lorsque Minho me récupère devant mon hôtel le lendemain matin, je réalise à quel point mon accoutrement est minable. Le jour d'un mariage, je ne suis vêtu que de noir, sans même l'ombre d'un vêtement blanc. Je sais qu'Adaliah ne m'en voudra pas si je lui dis qu'à l'origine, je n'étais venu que pour les obsèques de mon paternel. Puis, dans le fond, je dois aussi faire le deuil de ma relation avec elle. Je n'ai aucune raison d'interrompre son mariage. Elle est heureuse et prête à fondée sa vie de famille, avec quelqu'un de bien j'en suis persuadé. Je ne sais rien de la femme qu'elle est aujourd'hui mais je sais que j'aimerai pour le restant de mes jours celle qu'elle était. Si j'en avais la chance, je continuerais de l'aimé au grand-jour.

    —Faire le deuil d'une personne encore en vie n'a jamais été quelque chose de facile, murmure Minho en se garant près de l'église.
    —Son bonheur a toujours été plus important que le mien.
    —Alors tu n'interrompras pas la cérémonie ?
    —Sauf si elle me témoigne son amour devant la foule.
    —Je doute que cela arrive.
    —Tu connais le dicton, dis-je ironiquement. L'espoir fait vivre.
    —L'espoir fait vivre, répète-t-il.

    Alors que nous arrivons dans l'église, la majorité des bancs sont pleins. L'église n'est pas bien grande mais peut facilement accueillir une bonne centaine de personnes. Plusieurs regards se tournent vers nous, et beaucoup des invités nous sourient. Je rigole intérieurement en imaginant être l'actuel futur marié, et je ne peux m'empêcher de sourire encore plus en imaginant que je puisse me marier à l'homme à mes côtés. Mes pensées reviennent inévitablement vers Adaliah et une vague de tristesse me submerge. La volonté que j'ai à vouloir être l'homme qui va l'attendre devant cet autel, devant cette foule de visages inconnus, dépasse tous mes rêves.
    Je prends un instant pour rêver les yeux ouverts. L'espace de quelques minutes, je suis le futur marié, les yeux déjà remplis de larmes alors même que je n'ai pas encore vu la femme de ma vie dans sa robe blanche. La foule serait remplis des personnes avec qui nous sommes allés au collège et l'un d'eux serait mon témoin, ça ne fait aucun doute. Peut-être que mes parents seraient là, si dans cette réalité imaginaire, ils ne m'ont pas envoyé dans ce pensionnat minable à l'autre bout du pays. Je peinerai à ne pas m'écrouler en voyant Adaliah dans l'allée, sa main dans celle de son père.
Puis, la réalité me rattrape.
    Je suis assis sur un banc dans le fond de l'église, écoutant la marche nuptiale résonné dans tout le bâtiment religieux, à l'honneur du mariage de l'amour de ma vie. Monsieur Choi ne se tient pas à mes côtés comme je l'avais pensé. En fait, il n'a jamais été à mes côtés.

    —Mesdames, messieurs. Nous sommes ici aujourd'hui pour unir madame Adaliah Duval à monsieur Minho Choi.

ADALIAH [bxb]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant