Ce sont des coups forts contre la porte qui me réveille. Le soleil semblait déjà haut dans le ciel. Je me presse d'enfiler un short et d'allé ouvrir la porte, les yeux encore lourds de sommeil. Elizabeth se tient dans l'embrasure de la porte, une grande tasse de café dans les mains. Elle prend quelques secondes pour me détailler sans retenue avant de ne faire comme si elle était chez elle.
—Bonjour, marmonnais-je. Je ne savais pas que tu devais passer.
—Je voulais être sûre que vous soyez bien réveillé. J'ai même pris ce café pour vous parce que le vôtre est infect, nota-t-elle avec une grimace. Une nouvelle marque de café ne serait pas du luxe, vous savez.
—Bien. J'irai en acheter plus tard et je me servirai de l'actuel pour tenter une nouvelle approche artistique. Je connais quelques personnes qui produisent avec du café. Le résultat peut être intéressant. Ce sera tout ? Est-ce qu'il y a quelque chose d'autre à critiquer dans mon appartement ou le reste est à ton goût ?
—Il me faudrait plus de temps que nous n'en avons pour vous dire sincèrement ce que je pense de cet endroit, dit-elle en riant. Je suis avant tout venu pour vous dire quelque chose.Elle se racle la gorge et je comprends immédiatement que quelque chose ne va pas. Elle s'assoit sur un tabouret alors que je me penche vers elle, prêt à l'écouter.
—Minho Choi a téléphoné hier soir, juste avant la fermeture de vos bureaux. Je suis venu ici mais vous n'étiez pas encore rentré.
—Que voulait-il ?
—Un entretien.
—Qu'as-tu répondu ?
—J'ai fixé le rendez-vous ce soir, à la dernière heure.Je laisse échapper un soupir. Je ne savais pas s'il était préférable que le rendez-vous ait lieu en début ou en fin de journée. Dans les deux cas, je savais que sa visite ne prévoyait rien qui ne puisse me plaire. Il pourrait venir pour tout et n'importe quoi : en tant que mari d'Adaliah, en tant qu'acheteur potentiel, en tant que fils de femme de joie. Peu importe, sa présence me sera forcément désagréable. C'est un fait.
Elizabeth m'attend patiemment dans la cuisine en attendant que je me douche et m'habille plus convenablement. Elle m'énumère ensuite en voiture les noms de personnes avec qui j'ai rendez-vous aujourd'hui et aucun d'eux ne me semble familier ou un tant soit peu connu. J'aime à croire que ce sont tous des milliardaires. Rêver ainsi me permet de ne pas être désagréable avec tous ceux que je m'apprête à côtoyer. Leur argent fera mon bonheur.
Le premier homme que je vois à soixante ans. Il fait pourtant cinquante-cinq ans, tout au plus. Ses yeux sont d'un bleu ciel à faire tomber toutes les femmes, j'en suis certain. J'ai personnellement toujours eu un faible pour les yeux marron. Il m'indique qu'il est ici en tant que potentiel assistant, ce qui me fait sourire. Si Elizabeth vaut le malheur d'entendre cette conversation, je suis sûre qu'elle le mettrait dehors sur-le-champ, peu importe son âge. J'aimerais presque la voir faire. Il m'explique qu'il est sur le point d'être à la retraite mais qu'il ne veut pas arrêter de travailler au risque « de mourir d'ennui » me confia-t-il. Je décline gentiment son offre et il me remercie de lui avoir accordé de mon temps.
Le second homme que je vois a la moitié de l'âge du premier et lui ressemble étrangement, comme s'ils étaient père et fils. Cependant l'un à les cheveux bruns et l'autre n'en a plus du tout. Il m'explique qu'il est ici pour savoir si je faisais des peintures « en temps réel ». Je ne comprends ses mots que lorsqu'il explique qu'il cherche quelqu'un étant capable de peindre le moment où il dira « oui » à sa femme devant l'autel. Je reconnais que l'idée est bonne, très bonne même. Encore une fois, je décline une offre. Je ne peux pas prendre le risque de peindre un tel moment sans avoir essayé de peindre quoi que ce soit relatif au mariage avant, ou même sans avoir essayé de peindre un événement « en temps réel ». Je ne me considère, pour le moment, pas assez rapide pour pouvoir le faire. Toutefois, je n'omets pas l'idée d'essayer un jour.
La troisième personne entrant dans mon bureau est une femme d'une quarantaine d'années. Elle porte un tailleur gris tout à fait formel, ce qui me fait penser à une directrice de pensionnat. Je frisonne rien qu'une l'imaginant en tant que telle. Ses cheveux blonds sont relevés en un chignon implacable, ce qui ne fait que renforcer mon idée selon laquelle il s'agit d'une femme pleine d'autorité. J'avais vu juste, en fait. Elle me propose de venir donner des cours de dessin bénévolement dans un petit collège de la ville. En d'autres termes, elle me propose ensuite de devenir professeur d'arts plastiques et d'arts appliqués. Je lui souris poliment en disant que je vais prendre le temps de réfléchir à son offre mais ma réponse ne semble pas tellement la satisfaire. Sans doute s'attendait-elle à ce que j'accepte aveuglément sa proposition. Ma réponse n'est qu'un tissu de mensonges. Je n'ai aucune pédagogie, aucune méthode, aucun conseil à donner ou diplôme à exposer. Si elle s'était renseigné un minimum sur moi, elle le saurait.
La quatrième personne a passé les portes de mon bureau est Elizabeth. Elle emploie ce ton faussement agressif qui me fait sourire en me blâmant de ne pas avoir pris le temps de manger. Je lui rejette la pierre en la blâmant pour être celle ayant programmé tous ces rendez-vous. Elle soupire en reconnaissant ses torts. Je n'ai jamais aimé les journées pleines de rendez-vous, de longs discours aussi charmant qu'ennuyant. J'aime lorsqu'il s'agit de ventes, lorsqu'il est question d'argent, ou de quelque chose qui me tient à cœur comme des galas de charité, par exemple. Pour de tels rendez-vous, je suis le premier à être partant. Mon côté vénal n'est pas niable.
Après avoir mangé une simple salade, mon quatrième rendez-vous passe la porte de mon bureau. Il s'agit d'une femme de mon âge, à peu près. Elle est tout à fait charmante. Ses cheveux sont roux et coupés court. Elle porte une robe rouge qui la met parfaitement en valeur, je dois bien le reconnaître. Elle me sourit chaleureusement. Lorsque je lui demande l'objet de son rendez-vous, elle se lève et pose ses deux mains à plat sur mon bureau. Je recule instinctivement sur ma chaise.—Si je vous le dis, il ne faudra le dire à personne. C'est assez honteux, admet-elle.
—Je vous écoute. Que puis-je faire pour vous ?
—J'ai toujours rêvé de faire l'amour sur une toile. J'ai vu votre photo sur internet et vous êtes peintre, j'ai pris ça comme un signe.
—Un signe ? répétais-je en me retenant de rire.
—Je sais bien qu'il s'agit d'une demande peu conventionnelle mais, peut-être que vous seriez partant ?Je la regarde pendant quelques secondes. Je me mords l'intérieur des joues pour ne pas rire. Je ne dois pas rire, ce n'est pas professionnel. Enfin, sa demande est loin de l'être, elle aussi. Son plan n'est rien d'autre qu'une idée que j'ai déjà envisagé, que j'ai même déjà réalisé. Seulement, le résultat n'était pas celui auquel je m'attendais et a fini par être brûlé. Je trouve que c'est quelque chose de relativement intime, bien plus qu'une simple partie de jambes en l'air. C'est ce qui me pousse à refuser son offre. Son air déçu me fait sourire. Cette femme est tout à fait à mes goûts mais je refuse de me plier à sa requête.
Puis, encore trois rendez-vous après celui-ci, il était temps. Le dernier rendez-vous de la journée était enfin arrivé alors que le soleil se couchait déjà.
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ADALIAH [bxb]
RomanceLiam Leclerc, artiste peintre accompli du haut de ses vingt-sept ans, n'a toujours eu d'yeux que pour Adaliah, sa muse, qu'il n'a pourtant vue que dans ses rêves ces dernières années. Lorsqu'il apprend la mort de son père, le contraignant à retourné...