Chapitre 37

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La semaine au chalet passe bien plus que ce à quoi nous nous attendions. Toutefois, le retour à la maison ne s'avère pas être déplaisant. J'ai réalisé quelques toiles comme je le souhaitais mais n'ai aucun acheteur pour le moment, ce qui s'avère être beaucoup plus problématique. Après tout, mes toiles représentants des paysages sont bien moins jolies que celles qui représentent des personnes. Je suis doué pour peindre les visages et les corps, beaucoup moins pour représenter la beauté de la Terre.
Elizabeth entre dans mon bureau et me tend une enveloppe noire.

    —Oh, je t'en prie. Je sais que j'ai commis quelques erreurs dernièrement mais ne me laisse pas tomber. Tu sais que j'ai besoin de toi, Lilibeth, lui dis-je avec une pointe d'humour.
    —Ce n'est pas ma démission. Cette enveloppe est en provenance de monsieur Choi lui-même.
    —Choi ? Je ne me souvenais pas avoir rendez-vous avec lui aujourd'hui. Où est-il ? Dis-je en passant une main sur mon costume.
    —Il m'a demandé de vous remettre cette enveloppe. Je lui ai proposé de vous la remettre en main propre mais il a décliné. Il semblait pressé, ajoute Elizabeth avant de quitter mon bureau.

    Je fronce les sourcils. Ce n'est pas dans ses habitudes d'être pressé et d'éviter les rendez-vous. Minho est quelqu'un de relativement calme d'après ce que je sais et de ce que j'ai pu constater par moi-même. Malgré un calme parfois agaçant, il est aussi le genre d'homme a aimé la confrontation verbale, et il sait que je suis le mieux placé pour lui en fournir.
    Sa lettre noire ne présage rien de bon, je le sens. Lorsque je l'ouvre, j'ai la bouche sèche, le souffle court. Mes mains lâchent immédiatement le papier après avoir lu les premiers mots. Ma bouche s'ouvre sans qu'aucun son n'en sorte. Je n'arrive même pas à appeler Elizabeth, qui est pourtant dans la pièce avoisinant mon bureau. Je me penche au-dessus de la lettre pour être sûr d'avoir bien lu. L'air se fait rare dans la pièce et ma cravate semble se refermer autour de mon cou. Plus je tire dessus, pire cela semble être. J'envoie tout ce qu'il y a sur mon bureau par terre et en entendant le vacarme, Elizabeth rentre paniquée dans mon bureau. Elle court vers moi et me retire ma cravate dans de grands gestes brusques. Je fais sauter les premiers boutons de ma chemise et cherche à ouvrir la fenêtre, sans en être vraiment capable. Elizabeth le fait pour moi et l'air frais me fouette le visage.
    Elle me demande une bonne dizaine de fois si tout va bien, puis ce qui ne va pas, sans que je ne réponde quoi que ce soit. Elle ramasse mes affaires sur le sol et les remet chacune en place sans que je ne l'aide. Je ne peux pas bouger. Je reste debout au milieu de toit ce désordre, les bras pendus le long du corps. Lorsqu'elle attrape la lettre sur le sol et qu'elle y jette un coup d'œil, elle se rue vers moi et m'enlace. Je n'ai toujours aucune réaction.

    —Je vais vous appeler un taxi et je vais vous raccompagner chez vous.
    —Je ne vais pas chez moi. Je ne peux pas.
    —Monsieur, permettez-moi d'appeler Charlie. Il sera ravi de travailler à nouveau pour vous.

    Une fois qu'il est en bas, je refuse que Charlie m'accompagne mais lui précise que si je ne suis pas revenu dans quelques heures, alors lui et Elizabeth sauront où me trouver. Dans le silence de l'habitacle, je prête une attention minimum à la route. Tout ce qu'il y a autour me semble plus intéressant : les arbres, les plots, les bornes sur le côté de la route. Mes pensées sont ailleurs, et les quelques heures de route se font en un rien de temps. Une fois sur le parking, je regrette presque l'absence de Charlie.

    —Tu pensais que je n'allais pas venir, n'est-ce pas ? dis-je en m'asseyant alors que je n'ai qu'un long silence pour réponse. Eh bien, je reconnais avoir hésité mais je me devais d'être là. Nous avons déjà perdu bien trop de temps toi et moi. Aussi, je suis venu parce que j'avais quelque chose d'important à te dire et dont je voulais que nous discutions. J'aimerais beaucoup que tu viennes au vernissage de la galerie que je vais ouvrir à Paris, le mois prochain. Ce sont des projets inédits et très récents, je pense qu'ils te plairaient beaucoup. Je sais que tu seras très occupée parce que l'hiver a toujours été ta saison préférée alors s'il te plaît, entre deux sauts dans une montagne de neige, pense à moi. Si tu viens, je te promets de sauter dans un gros tas de neige, moi aussi, et même d'en jeter des poignées entières au-dessus de ma tête.

    C'est ici que je l'ai retrouvé il y a plus d'un an, et c'est ici que je la vois pour la dernière fois. Je pourrais revenir la voir de temps à autre mais les cimetières n'ont jamais été pour moi. Je ne veux pas avoir cette image d'elle, seule et triste à six pieds sous terre. Je veux me souvenir qu'elle a compté pour moi, bien plus que la plupart des gens que j'ai connu tout au long de ma vie, que je l'ai aimé de tout mon être et que malgré tout ce qu'elle a pu me dire, elle m'appréciait. Elle ne m'aimait pas, je le sais, mais savoir que j'ai compté pour elle me suffit à présent.
    L'ouverture de cette galerie à Paris sera l'occasion de lui rendre hommage. J'ai simplement besoin de l'accord de Minho et j'ose espérer qu'il sera d'accord. Adaliah était une femme brillante, aimante et rêveuse. Je me souviens d'une question qu'elle m'avait posée lorsque nous avions douze ans et je souris tristement en la lui répétant.

    —Est-ce que je suis en train de vivre ma première vie, l'une d'elles ou est-ce qu'il s'agit là de la dernière ? Je n'ai toujours pas de réponse à cette question mais je sais que si je dois revivre un jour, sous n'importe quelle forme que ce soit, je te chercherai. Tu peux changer de nom, de visage, de sexe ou de forme. Je te retrouverai, toujours. Je ne dis pas que je t'aimerai à nouveau, parce que je suis enfin heureux avec quelqu'un d'autre maintenant, mais je te chercherai c'est certain. Si tu n'as pas pu être témoin de mon bonheur dans cette vie, tu t'en réjouiras dans une autre j'en suis certain.

    Lorsque la nuit commence à tomber, je suis toujours assis devant sa pierre tombale mais je ne suis plus seul. Minho se tient debout derrière moi, le visage rouge et les yeux gonflés. Non seulement il a perdu sa femme, mais il a aussi perdu son seul enfant.
Je me lève en signe de respect et le regarde.

    —Je veux récupérer les tableaux de la collection « Ada » pour lui rendre hommage dans une galerie d'art que je vais ouvrir à Paris. C'était sa ville favorite, je suis sûre qu'elle serait ravie. Ils y resteront aussi longtemps que tu le souhaiteras.

Il hoche la tête et je me dirige vers la sortie.

    —Elle t'aimait, lui dis-je en partant.
    —Je l'aimerai toujours.
    —L'amour ne s'arrête pas dans la mort.
    —Tu l'aimais, toi aussi.
    —C'est vrai, et je l'aimerai toujours. Seulement, ce n'est pas moi qu'elle aurait choisi dans une pièce rempli de personnes, et ce n'est plus celle que j'aurais cherché si j'y étais aussi.
    —Stanislas, dit-il avec un sourire triste.
    —Je l'aime.
    —Je suis heureux pour toi. Pour vous. Profitez de votre amour avant qu'il ne soit trop tard. Tout peut basculer si vite.
    —Je suis vraiment désolé Minho, lui dis-je en lui tendant ma main qu'il sert d'une poigne ferme. Ne fais rien qu'elle te ferait regretter une fois que tu la retrouveras.

    La douleur recouvre des traits. Je doute qu'il ait réussi à dormir depuis que c'est arrivé. Une fois que je suis à nouveau en voiture, j'envoie un message à Elizabeth pour lui que tout va bien et quitte le cimetière pour allé sur le parking de l'église. C'est ici que je l'ai vu la plus heureuse. Des flashs d'elle en robe de mariée me revienne et je souris, les larmes aux yeux. Même si je me suis senti mourir ce jour-là, savoir que c'est sans doute le jour où elle s'est senti la plus vivante apaise la douleur.

ADALIAH [bxb]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant