Stan m'explique que le jour où il m'a rejoint à l'hôtel, il avait été agressé. Il n'a pu me rejoindre que parce qu'il connaissait le numéro de ma chambre. Il n'y avait qu'un hôtel dans notre village, il n'avait donc pas à se soucier de ce problème. Je ne lui demande pas pourquoi il ne m'a pas redemandé mon numéro, trouvant ma question complètement stupide. Il était couvert de sang et en état de choc. Je n'aurais rien dit non plus si j'avais été à sa place.
—Quand j'ai commencé à aller mieux, j'aurais pu chercher ton nom sur internet et trouvé un quelconque moyen de te contacter. Je savais que tu ne pourrais pas le faire. Je ne t'ai jamais donné mon nom complet, dit-il avec un sourire triste.
—Tu aurais pu, mais tu ne l'as pas fait. Pourquoi ?
—J'étais en colère.
—Contre moi ?Il hoche doucement la tête. Devant mon air inquiet, il reprend.
—Je sais que tu es celui qui m'as recueilli, si je puis dire, lorsque c'est arrivé et je t'en suis plus que reconnaissant. Merci. Merci mille fois d'avoir été si doux et si prévenant avec moi. Mais une fois guéri, je t'en voulais. Je t'ai détesté. Si je n'avais pas eu à te rejoindre, si tu ne m'avais pas dit de venir, rien de tout ça ne se serait passé.
—Je comprends. Il fallait bien un coupable.
—Tu n'es pas coupable. Je suis désolé d'avoir pensé ça. J'avais tort, je le sais maintenant. Seulement, il m'a fallu plusieurs mois pour le réaliser, et encore plus de temps pour avoir le courage de venir jusqu'ici.Il m'explique ensuite comment il s'y est pris. Il a cherché mon nom sur internet, puis s'est renseigné sur toutes les structures concernant l'art. Il rit en me disant qu'il a passé les deux derniers jours à parcourir les musées et les différentes galeries à ma recherche. Je ne peux m'empêcher de rire moi aussi.
—Stanislas Dubois, finit-il par dire. Si jamais on me vole à nouveau me téléphone, mon nom complet est Stanislas Dubois. Je ne veux pas que tu penses une nouvelle fois que je t'ai oublié. Ça n'est pas arrivé. Pas une seule fois.
—Donne-moi ton téléphone, dis-je alors qu'il me le tend. Pourquoi ne pas te faire tatoué mon numéro, hm ? Dans le cou, juste en dessous l'oreille ?
—Oh non, bien trop compliqué à lire. Pourquoi pas dans le creux de la main ?
—Il disparaîtra bien trop vite dans le temps. Et sur le poignet, ça semble être un bon endroit.
—Et si je dois me faire amputer, tu imagines ?Nous rions ainsi pendant ce qui me semble être des heures. Le repas se déroule dans une ambiance simplicité et de convivialité dont j'ignorais avoir besoin. Je ne suis nullement surpris que cet état soit lié à Stan. Il est la seule personne qui pouvait me faire ressentir cette simplicité, si légère et pourtant qui n'a rien de familière.
Une fois dehors, je lui propose de prendre un taxi pour aller chez moi. Il hésite quelques secondes avant d'accepter. Mes pensées sont simples, elles aussi : il ne se passera rien. La soirée ne doit pas être ruinée, d'une quelconque manière que ce soit.
Lorsqu'il arriva dans la salle dans laquelle j'ai l'habitude de produire mes tableaux lorsque je ne suis pas dans mes locaux, à mon bureau, il semblait plus captivé et intrigué que je ne l'avais imaginé. Ses doigts effleurent les brosses de mes pinceaux, parcourent les étagères couvertes de peintures. Il me jette un œil ébahi. Je lui souris, amusé par la manière dont il semble voir tout cela avec les yeux d'un enfant.—Pourquoi peins-tu ? demanda-t-il.
—J'ai peur d'oublier.
—Oublié ?Il répéta mes mots comme pour me demander ce qu'ils signifiaient. Comment pourrais-je lui dire que j'avais peur d'oublier les traits de la seule personne que j'ai aimée, de la seule personne qui m'a fait me sentir vivant par un simple sourire. Adaliah a été ma muse pendant tellement. J'ai figé ses traits dans le temps tant de fois. Elle est le symbole de mes jeunes années, celles durant lesquelles j'ai été heureux, avant que tout ne ma vie ne bascule dans une série de mensonges, de trahisons et de solitude.
Je peins parce que j'ai peur d'oublier que le ciel est bleu, comment les oiseaux volent parfois en groupe, quelle est la beauté d'un coucher de soleil, la manière dont les vagues meurent sur le sable. Toutefois, je n'ai jamais réussi à peindre quoi que ce soit de ce genre ou à en être pleinement satisfait. Quelques croquis uniquement. De mon côté, je me suis consacré à la plus belle des beautés, qui est aussi la plus controversée. Ainsi, je peins pour ne pas oublier que les yeux sont la partie du corps que je préfère, que les grains de beauté reflètent les endroits où notre âme-sœur passé nous a le plus embrassé, qu'un simple sourire éclaire parfois plus qu'un million d'étoiles. Je ne me suis pas concentré à peindre des parties détaillées du corps d'Adaliah par simple plaisir personnel. Je l'ai fait dans le but de montrer au monde que les détails les plus infimes sont ceux qui nous manqueraient le plus s'ils venaient à disparaître, et ce de la même manière que les personnes âgées regrettent le visage de leurs vingts-ans. Tout est dans le changement. Je peins pour ne pas oublier.
Je hoche simplement la tête en lui adressant un léger sourire. Stan se fera sa propre réponse, je le sais. Mon silence l'y aidera bien plus que si je lui explique que lorsque je peins, c'est mon âme qui s'exprime. Il n'en reste cependant pas là.—Est-ce que tu m'as déjà peint ?
—Non.
—Alors tu m'oublieras, conclut-il sans même me regarder.Dans la logique des choses, je l'oublierai. La fin reste la même pour tous. Personne n'échappe à la mort. Le peindre n'aurait pour but que de me souvenir de lui pour les prochaines décennies. Pour l'instant, ce n'est pas ce dont j'ai envie. Je ne veux pas d'une nouvelle muse. J'ai déjà trop donné.
—Tu es simple comme garçon.
—Simple ?
—Lorsque je suis avec toi, c'est comme s'il n'y avait pas de problèmes. Uniquement des solutions. C'est déroutant, tu sais.Il rit.
—Tu es comme une bouffée d'air frais un matin d'été, ou la douceur d'un feu sur la peau en hiver. Tout le monde t'aime.
—Si tout le monde m'aime, alors tu fais partie du lot, n'est-ce pas ? Est-ce que cela veut dire que tu m'aimes, Leclerc ?Il détourne mes mots avec un grand sourire. Il se rapproche de moi en quelques enjambées seulement et debout face à moi, il me semble encore plus grand que dans mes souvenirs.
—Si je t'avais aimé, je ne serais jamais partie de cette chambre d'hôtel.
Touché.

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ADALIAH [bxb]
RomanceLiam Leclerc, artiste peintre reconnu à seulement 27 ans, n'a jamais cessé de rêver d'Adaliah, sa muse insaisissable, bien qu'il ne l'ait vue que dans ses visions nocturnes. Mais lorsqu'il apprend la mort de son père, il se voit contraint de revenir...