Chapitre 3

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Dès l'instant où elle n'était pas entrée dans mon bureau, je savais que quelque chose n'allait pas. Toutefois, je n'avais nullement imaginé que la situation dégénérerait au point qu'on enfonce la porte de mon bureau avec un coup d'épaule digne d'un film d'action. Pour la première fois, je suis heureux que ce ne soit pas Elizabeth qui m'ait répondu mais une voix dont j'avais oublié, non pas l'existence, mais la manière dont elle pouvait faire écho en moi.

    —Mère.
    —Ton père est mort, dit-elle simplement.
Je laisse échapper un rire nerveux.
    —De quoi est-il mort ?
    —Du fait de ne pas avoir vu son fils depuis plusieurs années, répond-elle d'un ton tranchant.
    —Quand est-ce qu'est l'enterrement ?
    —Il est déjà enterré.

    Je soupire. Ma mère ne cessera donc jamais de me surprendre. Non seulement elle parcourt des centaines de kilomètres pour me dire que mon père est mort, et déjà enterré qui plus est, mais en plus de cela, il faut en plus qu'elle me reproche sa mort. Je sais bien que je suis loin, très loin, d'être le fils exemplaire. Toutefois, ce n'est pas une raison pour me mettre à dos la perte de son mari. À mes yeux, mes parents ne sont plus que des géniteurs, et ce, depuis l'année de mes quinze ans.

    —Très bien, merci d'être passé. Je ferai déposer une fleur au cimetière. As-tu besoin d'argent pour le taxi ou bien l'essence ? Dis-je en me levant.
    —Alors c'est comme ça ? On passe des années à élever son enfant pour qu'il ne veuille même pas nous revoir et qu'il vous jette dehors. Je me suis sûrement déboîté l'épaule en enfonçant ta porte et tu ne me proposes même pas un simple verre d'eau. Ton père et moi ne t'avons pas éduqué de...
    —Oh, dis-je ironiquement en ne la laissant même pas finir sa phrase. Vous ne m'avez pas éduqué, ni plus ni moins. Vous avez préféré payer un établissement pour le faire à votre place, mais est-ce que c'est dû au fait que vous n'étiez jamais là ou à cause d'un manque de compétences flagrant ? Si vous voulez que je vous rembourse mes frais de scolarité, je le ferai. Dans le cas contraire, je refuse de vous laisser croire que vous avez fait de moi l'homme que je suis aujourd'hui. Vous y avez contribué, je me plie à le reconnaître, mais vous n'êtes en rien responsables.
    —Pourtant, en te voyant aujourd'hui, je constate qu'eux aussi t'ont considéré comme un cas désespéré.
    —On est comme on a été élevé, n'est-ce pas ?

    Je savais que ma mère ne serait jamais venue pour une simple visite de courtoisie. Surtout s'il est question de moi. Je reconnais que je pourrais me reconnaître plus chaleureux, plus accueillant envers elle, que je pourrais au moins l'emmener boire un café et savoir quelles sont les réelles causes de la mort de mon paternel. Toutefois, la rancœur que j'ai envers elle m'empêche d'être pacifique et de faire table rase du passé. Dans ma tête, elle est toujours cette femme qui m'a hurlé dessus, qui m'a giflé et tant de fois rabaissé. J'aimerais être capable d'oublié, n'avoir jamais entendu certaines choses.

    —Tu ne peux pas me reprocher de ne pas avoir fait de mon mieux pour t'élever. Tu n'as jamais rien fait pour être gentil avec moi, tu étais...infâme.
    —Ne gaspille pas ta salive. Nous savons tous les deux que c'est papa qui voulait un enfant. Tu n'en as jamais voulu, pas un seul instant et tu me l'as bien fait comprendre. Malheureusement, je suis né et il s'est avéré que ton mari n'ait finalement pas supporté la paternité. Quelle ironie.
    —Ton père...
    —A fait en sorte de trouver un travail qui l'envoyé constamment en déplacement, la coupais-je. C'est à peine si je le voyais les week-ends alors ne vient pas me dire qu'il a fait tout ce qu'il a pu pour notre semblant de famille. J'ai eu un père qui ne m'a jamais considéré comme son propre fils.

    Son masque ne tombe pas un seul instant. Sa colère ne disparaît pas et sa tristesse est imperceptible. Je sais que je la blesse pourtant, encore et encore, comme je l'ai toujours fait. Ce n'est pas une fierté. J'aimerais avoir de bons rapports avec ma mère, la voir sourire et mieux encore, être capable de la faire rire. Seulement, les souvenirs que nous avons ensemble ne m'apportent aucun réconfort. Ils ne font que nourrir ma colère et ma douleur.
    Il existe différentes douleurs et leur intensité est variable : il y a la douleur d'un orteil que l'on cogne sur le coin d'un meuble, la douleur qui vous donne l'impression qu'un poids lourd vient de vous percuter, puis il y a celle qui ne vous fait plus rien ressentir du tout. Le néant comme je l'appelle. Je ne la considère pas comme étant la plus difficile à supporter. D'une certaine manière, c'est même la plus douce. Mais pour être tout à fait honnête, cette douleur n'est qu'une illusion. Ce n'est pas que l'on ne ressent rien, au contraire, c'est que l'on ressent tout. C'est un trop-plein d'émotions.

    —Écoute, je ne te demande pas la lune. J'aimerais juste que tu repartes avec moi pour régler les dernières volontés de ton père. Si ça ne tenait qu'à moi, je ne t'aurais même pas prévenu de sa mort, soupire ma mère.
    —Tu devrais aller boire un café en bas de la rue, je te retrouve devant dans une demi-heure. J'ai besoin d'un peu de temps pour préparer mes affaires.

    Sans surprise, elle ne prend même pas la peine de me répondre. Une fois partie, Elizabeth se précipite dans mon bureau et pose une série de questions auxquelles je ne réponds que vaguement, voire pas du tout. Pour couper court à la conversation, je lui demande de me trouver une chambre dans l'unique hôtel de mon petit village natal. Je doute que ce dernier soit plein mais, s'il l'est, je serai à la rue pour un week-end. Ma mère ne m'hébergera pas, que je sois de son sang ou non.

    Quelques heures plus tard, alors que le soleil se couche, je suis face à la pierre tombale de mon propre père. J'ai un léger pincement au cœur en réalisant que je ne sais plus vraiment à quoi il ressemblait, ce qu'il était devenu. J'aime penser qu'il était le même que lorsque je l'ai quitté parce que si ce n'est pas le cas, je m'en voudrai sans doute de ne pas avoir appris à le connaître. Je ne peux pas dire que j'apprendrai à le connaître à nouveau, mais peut-être qu'en grandissant, j'aurais aimé passer du temps avec lui. Qui sait ?

    —Il aura fallu que tu meures pour que je revienne ici, dis-je ironiquement en levant la tête vers le ciel.
    —Liam ?

    Je n'ai pas besoin de tourner ma tête pour savoir que c'est elle. Je le sais, je le sens au plus profond de moi. Un sourire se dessine sur mon visage alors qu'un sentiment de soulagement s'épanouit en moi. Je ne suis pas en train de rêver les yeux ouverts comme j'ai tant pu le faire. Je sais qu'elle est là, bien réelle, à seulement quelques mètres de moi.
Adaliah Duval.

ADALIAH [bxb]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant