dix-huit

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Il y croira pour deux.

dix-huit.

dimanche vingt-sept novembre
deux mille seize.

20 & 19 ans.

Les yeux rivés fixés sur l'horizon, Pierre se concentre sur les lumières rouges qui s'allument les unes après les autres avant de s'éteindre soudainement. Aussitôt, il s'envole, pied au plancher sur cette longue ligne droite avant de plonger à l'intérieur au premier virage. Le pilote français tient cette pôle position qu'il a durement acquise la veille dans un contexte particulièrement stressant.

Depuis son arrivée sur le paddock, on lui parle de chiffres et de points, d'assurer un écart minimum pour aller conquérir le titre. Et même de pérenniser son avenir au sein de l'équipe RedBull. Mais le pilote essaye de mettre toutes ces probabilités dans un coin de sa tête. Aujourd'hui, comme à chaque fois qu'il est derrière un volant il sait ce qu'il a à faire. Son objectif est de gagner ; de franchir en premier la ligne d'arrivée.

Alors, il donne le meilleur de lui-même. Il veut exploiter son talent. Se faire plaisir. Profiter de la chance qu'on lui donne de toucher un peu plus du doigt son rêve de gamin sur ce circuit de Yas Marina. Surtout si tout devait s'arrêter.

« Tu es sûre que tu ne veux pas t'asseoir Pascale ? demande la blonde, perchée dans les tribunes entourée de la famille Gasly, les yeux rivés sur le circuit.

- Je suis allongée depuis des mois, refuse la mère de famille qui après un accident de voiture a tout fait pour se rétablir et être auprès de son fils pour la dernière course de la saison. »

Louise acquiesce. Elle non plus n'est pas capable de tenir en place. Ses lèvres sont pincées, ses doigts croisés à la manière de Jean-Jacques. Tous ses muscles sont contractés alors qu'elle tend l'oreille pour entendre les frères du châtain se lancer dans tout un tas de calculs savants et compliqués. Leur benjamin est deuxième au classement qu'il dominait pourtant depuis la Hongrie. Mais une huitième place au Grand Prix de Malaisie a permis à Giovinazzi de reprendre la tête du championnat.

Alors la fratrie se risque aux hypothèses, mettant à jour les positions au classement après chaque dépassement, bien conscients que la course sprint du lendemain peut avoir un impact décisif sur l'issue de cette saison compliquée pour le normand. Louise a encore en mémoire la déception qu'elle pouvait lire sur le visage de son meilleur ami alors qu'elle se tenait à Mirabeau-Bas, comme elle le lui avait promis. Un échec monégasque après un premier week-end à Barcelone qui laissait entrevoir un espoir de conquérir le titre.

Mais elle n'a aucun doute. L'accident de voiture à Silverstone, qui lui a laissé une vertèbre cassée et la peur immense de perdre sa maman ; les victoires et podiums qu'il a enchaînées depuis ; sa décevante quatrième place injuste à Monza ; son espoir envolé d'obtenir un baquet en formule un pour la saison prochaine malgré les performances exemplaires qu'il a démontrées ; sa rage de vaincre ; sa soif de réussite. Louise sait que le pilote a tous ces éléments en tête depuis qu'il est arrivé dans le paddock jeudi. Et que l'intégralité de ces pensées ne font que renforcer sa détermination.

Il ne reste que quelques tours et Pierre tient sa première place. Il s'y accroche corps et âme quand son concurrent direct peine à remonter dans le classement. Les doigts de la blonde sont engourdis dans cette position plus qu'inconfortable. Sa lèvre inférieure est presque en sang à cause des morsures qu'elle ne cesse de lui infliger.

Et puis, une poignée de minutes plus tard, alors qu'elle semble avoir oublié de respirer et que l'attente lui paraît insupportable, tout le groupe de français exulte quand le drapeau à damier s'abat sur la monoplace bleutée. Les larmes coulent sur ses joues alors qu'elle tombe dans les bras de la matriarche. Les frères Gasly entraînent leurs parents dans les marches pour rejoindre la piste et célébrer cette victoire avec le benjamin. Louise reste en retrait. Elle tient à les laisser partager cet instant d'éternité. Le premier qu'elle peut savourer cette saison, bien trop occupée avec la préparation olympique et le calendrier surchargé.

GLORIOUS - PIERRE GASLYOù les histoires vivent. Découvrez maintenant