dix • quinze

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« C'est normal. J'ai toujours été là pour toi, non ?
- Et je te remercierai jamais assez pour ça. »

...

dix.

lundi dix mai
deux mille dix.

14 & 13 ans.

Les tonalités de la sonnerie résonnent comme une éternité aux oreilles de la jeune fille. Ses incisives s'enfoncent dans sa lèvre inférieure, trahissant son stress et son appréhension. Ça ne lui ressemble pourtant pas. Sa relation avec Pierre a toujours été d'une fluidité et d'un naturel sans pareils. Et pourtant, la distance semble faire peu à peu son œuvre.

S'ils s'écrivaient beaucoup lors des premiers mois de l'adolescent au Mans, ce dernier a rapidement été très pris. Sa nouvelle vie rythmée par des entraînements intensifs et des compétitions de plus en plus importantes. Les nouvelles rencontres, les nouvelles préoccupations. Et Louise se demande combien de temps elle va bien encore avoir sa place dans ce tableau.

Cela fait des mois qu'elle garde tous ses doutes pour elle. Parce qu'elle ne peut pas l'empêcher d'avancer. Surtout quand il roule à pleine vitesse et que le prochain arrêt n'est qu'une étape de plus à la poursuite de son rêve qui apparaît à l'horizon, chaque jour, de manière un peu plus claire.

Toutes ces pensées occupent son esprit alors que la tonalité s'arrête soudainement.

« Lou' ? »

Sa voix semble différente. Elle est plus grave, résultat d'une mue qui lui rappelle qu'ils grandissent et qu'ils n'ont aucune emprise sur le temps. Elle avale difficilement sa salive. C'est la première fois qu'elle se retrouve sans mots face à lui.

« Lou' ? répète-t-il.

- Oui Pierre ?

- Ça va ? s'assure-t-il.

- Euh oui, je... »

Elle entend un brouhaha résonner dans le combiné. Le bruit de fond lui fait perdre ses moyens. Elle bégaye en répétant plusieurs fois le pronom « je ».

« Lou' ?

- Oui ?

- Je peux te rappeler ? »

La jeune fille hésite. Leurs trois dernières conversations se sont conclues ainsi sans qu'aucun appel ultérieur ne suive. Mais elle sait que ce n'est pas vraiment une question. Elle est au pied du mur, une nouvelle fois.

« On me propose une place au CREPS d'Orléans, lâche-t-elle simplement.

- Je...

- On se rappelle, conclut-elle. »

Elle s'apprête à raccrocher quand il l'interpelle et la supplie d'attendre quelques secondes de plus.

« Félicitations pour ta médaille d'or aux championnats de France hier, t'es la meilleure, souffle-t-il.

- Merci pioupiou. »

Et elle met fin à l'appel avant même de lui laisser le temps de protester face à l'emploi de ce surnom qu'il déteste tant.

Sur ses lèvres, un sourire en demi-teinte.

...

Les mots de son amie ont tourné toute la nuit dans sa tête. La veille, il a fini l'entraînement bien trop tard pour espérer pouvoir la rappeler. Mais il s'est promis de ne pas y manquer aujourd'hui. Pierre s'est déjà trouvé bien trop d'excuses pour laisser péricliter cette amitié alors que c'est loin d'être ce dont il a envie.

GLORIOUS - PIERRE GASLYOù les histoires vivent. Découvrez maintenant