cinquante-huit

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cinquante-huit.

lundi cinq février
deux mille vingt-quatre.

Sa valise ouverte sur le parquet de la chambre, Pierre soupire en contemplant son armoire. Il ne sait pas par où commencer. Pourtant, il ne s'absente que trois petites nuits pour assister au lancement de la voiture en direct de l'usine d'Enstone. Et s'il devrait être enjoué parce qu'il ne s'est jamais senti aussi prêt à l'aube d'une nouvelle saison, il ne peut mettre de côté sa frustration qui ne fait qu'enfler.

Ce matin, il s'est réveillé seul, dans un lit froid. Il est rentré il y a quelques jours seulement de Dubaï où il terminait sa préparation sportive. Et il espérait profiter des dernières heures qui lui restaient pour serrer Louise dans ses bras et repousser le réveil. Le jeune homme a finalement ravalé sa frustration pour assister à une réunion urgente avec son attachée presse et Bruno Famin, le directeur de l'écurie française.

Ce dernier n'a d'ailleurs pas cherché à faire miroiter de faux espoirs à son pilote. L'équipe accuse un retard conséquent sur le développement de la voiture. Il n'y a, pour l'heure, qu'une unique certitude ; la déception sera de mise en ce début de saison. Les éléments de langage pour cacher la vérité tournent en boucle dans sa tête. Son attachée presse lui a conseillé de les apprendre par cœur pour éviter de donner des informations à leurs concurrents.

Mais Pierre enrage. Bruno lui a promis de faire des changements courageux et nécessaires pour progresser rapidement. Rien de pire pour un compétiteur que de savoir qu'il part au combat avec un outil défectueux. Et si ces révélations n'entachent pas sa détermination à aller de l'avant, elles ne font que nourrir sa peine de se résigner à compter sur les erreurs des autres pour triompher.

Alors qu'il se décide finalement à fourrer plusieurs t-shirts dans sa valise, il se redresse en entendant la porte d'entrée claquer, puis le bruit caractéristique et régulier d'une béquille qui rencontre le carrelage. Louise est rentrée. Depuis quelques jours, elle a quitté prématurément son fauteuil roulant. Mais elle est déterminée à progresser, même si cela doit être douloureux.

Il quitte la chambre pour rejoindre le salon où il trouve la jeune femme, la tête baissée sur son sac qu'elle s'emploie à vider. Il note son chignon défait et ses mèches mouillées qui témoignent de la séance de natation qu'elle a effectuée. Elle ne lui adresse aucun regard, scrupuleusement concentrée sur le matériel qu'elle met ensuite en place pour préparer la venue de l'infirmière. Son traitement sera allégé à la fin du mois, mais d'ici là, il représente encore un rituel incontournable de ses journées.

Le châtain est toujours immobile, appuyé contre le mur à l'entrée de la pièce. Il n'a pas encore réussi à déterminer si elle l'ignore ou si elle ne s'est simplement pas aperçue de sa présence. Qu'importe, il la détaille alors qu'elle effectue mécaniquement une suite de gestes. Mais un instant, Louise s'interrompt. Une grimace de douleur tord son visage. Elle pince les lèvres et s'appuie des deux mains sur le plan de travail, lâchant la poche médicamenteuse qui vient s'éclater sur le sol.

La jeune femme jure alors que le liquide se répand sur le carrelage, chatouillant ses pieds nus. Tandis que Pierre s'avance pour lui venir en aide, la main tremblante de la blonde glisse sur la surface froide à l'effet marbre pour s'emparer de sa béquille et attraper le nécessaire pour nettoyer le désordre qu'elle vient de causer. Elle prend un mauvais appui, et sa jambe flageolante ne peut pas le supporter. Louise perd l'équilibre.

Dans un cri, le pilote se précipite à ses côtés pour s'assurer qu'elle ne s'est faite aucun mal. Énervée, elle le repousse un peu plus violent qu'elle ne l'aurait voulu mais c'est loin d'atteindre Pierre. Il sait à quel point son état la frustre, bien qu'elle cherche sans cesse à garder le sourire. Il s'assoit à ses côtés alors que le liquide répandu sur le sol humidifie son jean. Il ne dit rien, il se contente de passer sa main dans ses cheveux et déposer un baiser sur son front, l'invitant à lâcher les larmes qu'elle retient depuis bien trop longtemps.

GLORIOUS - PIERRE GASLYOù les histoires vivent. Découvrez maintenant