Chapitre 3-1

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Rory pose son crayon sur le bureau. Il repose à côté d'un dessin dont les formes semblent imparfaites. Les premières lueurs de l'aurore s'infiltrent au travers de la fenêtre de sa chambre, laissant entrevoir les traits fatigués de l'adolescent. Insatisfait, il gomme les coups de crayon qu'il vient de dessiner. Puis, dans un souffle las, sa tête chancelante se pose contre le dossier de sa chaise. Ses yeux papillonnent, puis, durant un court instant, se ferment. Le flux de sa pensée dérive vers les cours, l'école, ses camarades, sa copine et Luke. Après avoir maugréé une insulte, il se lève et triture son sac, à la recherche de ce cahier qu'il maudit.

À la suite de sa visite chez Daphné, il continue à mener son enquête. Mais depuis cette semaine, il ne réussit pas à trouver l'endroit figurant sur la troisième photo. D'un côté, il s'agit d'un lieu des plus génériques. En voyant l'image, on y découvre un paysage verdoyant où les immenses arbres, dont les feuilles filtrent les lueurs du soleil, dominent l'endroit. En dessous, de l'eau s'écoule en un petit fleuve où des pierres pataugent, suintent. Rory ne doute plus du talent photographique de son ami, mais les informations qu'il lui a données ne l'aide pas à se repérer. Cette forêt peut se trouver n'importe où en Europe, que ce soit en dans le nord de la Bavière que dans le sud hispanique. Non pas qu'il irait si loin pour une photo – quoique – mais cette réflexion prouve sa perdition. Mais il n'abandonne pas pour autant. Quand bien même il reste perdu, il n'oublie pas qu'il a parcouru une grande partie du canton genevois avec lui. C'est pourquoi il persévère. Pour l'heure, malgré la fatigue, il doit se concentrer sur ses études et sur la suite qu'il souhaite prendre. Il s'affaire au dessin encore une heure, avant de descendre de sa chambre pour gagner la cuisine.

À la fin des marches, on remarque un petit couloir duquel on voit au bout, contre un mur, un plan de travail. Au-dessus des plaques à inductions, une hotte surplombe la gazinière. Le plan de travail s'allonge sur les côtés, équipé de toute la panoplie de cuisine nécessaire, encadrant l'espace. De l'autre côté, un grand homme aux cheveux gris se trouve assis. Une tasse à la main, il l'approche à ses lèvres et déguste son contenu. En mangeant son œuf au plat, il parait évasif, ses yeux jade regardant par-delà la fenêtre qui lui fait face.

Rory sourit. Il a toujours connu son père ainsi, le matin. Son travail de journalisme lui prend tant de temps que cette manière d'être se rarifie au fil du temps. Absorbé par ses sujets politiques, les matins précipités rythment son quotidien, si bien qu'il ne prend plus le temps de profiter de sa petite famille. Alors, le voir là, en train de profiter de son déjeuner réchauffe son petit cœur timide. Il fait mine de rien, sa route le menant vers le frigo. Puis, dans sa recherche d'une brique de jus d'orange, une voix grave lui fait rater un battement :

« Mon grand, ça ne dit même pas bonjour à son papa chéri ? »

Ses lèvres s'étirent, mimant la mine de son père. Il ferme le frigo, sa quête du jus d'orange se soldant en un échec.

« Salut Papa ! » déclare-t-il d'une excessive voix enjouée.

Puis, l'adolescent tire la chaise à côté de l'adulte auquel il vole une bouchée de toast. Le père roule des yeux, avant d'entamer une discussion. Travail, école, rien de bien enthousiasmant, mais de quoi passer le temps. Cette discussion est interrompue par l'arrivée de la femme du foyer, qui affiche un minois digne des meilleurs nuits passées. Au moins, certains arrivent à trouver le sommeil dans cette maison ! Mais cette petite réunion de famille se raccourcit, le journaliste vérifiant sa montre, remarquant qu'il doit prendre la voiture pour rejoindre les bureaux de la Radiotélévision Suisse.

« Pense à faire les courses en rentrant, Éric » demande la mère.

Ce dernier opine du chef, avant d'embrasser sa femme et saluer son fils.

« J'vais pas tarder non plus » ajoute l'adolescent, avant de débarrasser l'assiette de son père et de monter dans sa chambre.

Il empoigne son sac-à-dos et l'enfila. Le fils embrasse sa mère, lui souhaite une bonne journée et sort de l'habitation. Il s'engage sur un long chemin jusqu'à atteindre la gare. Durant sa traversée, ses pensées remplissent le vide dans sa tête. Toujours les mêmes, toujours Luke. Il pourrait les occuper avec son travail de maturité dont la version finale doit être remise ou encore son futur voyage de maturité, mais seul le carnet et le souvenir de son ami réussissent à s'immiscer dans son esprit, ce qui lui laisse un sentiment à la croisée de l'amertume et de l'incompréhension. Dans le train, il ressort ce même carnet afin d'observer les autres photos. En effet, même s'il se soucie de cette forêt particulière, cela ne l'empêche pas de contempler les autres œuvres qu'il lui a léguées. Enfin, il n'est pas l'unique destinataire, mais tout de même. Puis, le train s'arrête à la gare Cornavin, et il poursuit son chemin jusqu'en cours.

La cloche vient de retentir. Merde. Trop pris dans sa réflexion, il en oublie ses obligations. Il accourt jusqu'à sa classe de mathématique. Les poumons en feu, le retardataire s'excuse auprès de son prof qui lui lance une œillade décontenancée en retour. Dans un soupir, ce dernier lui quémande de s'asseoir. L'élève s'exécute, trouvant sa chaise auprès de Rayenne. Quand le cours commence enfin, le professeur assommant ses élèves de primitives et autres intégrations, Rory a su que la journée allait passer à une vitesse des plus lentes, la fatigue lui faisant défaut, pareille aux mathématiques : un combo qui va l'assommer à terme. Les autres cours l'inquiètent, mais, pour l'heure, il doit lutter pour ne pas s'écrouler de fatigue et d'ennuie.

Carnet d'un ami disparuOù les histoires vivent. Découvrez maintenant