Chapitre 7-2

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Le pas ralentit, alors qu'il récupère son souffle. Le feu aux joues, il se frappe le poing contre sa tête plusieurs fois. La situation le laisse avec un raz-de-marée de questions. Comment en était-il arrivé à là ? Depuis quand a-t-il une attirance pour les garçons ? Pourquoi le découvrir maintenant ? L'a-t-il vécu par le passé ?

Il est vrai qu'il a eu le droit à des remarques quand il trainait avec Luke. Son amitié avec lui a valu des questionnements de la part de ses camarades. En première, surtout, quand ils étaient jeunes et bêtes et qu'ils découvraient l'homosexualité. La seule personne avec qui trainait le seul gay de la volée devait subir les foudres des moqueries des autres, répétitives, si bien qu'il s'est mis à douter de ses sentiments. Mais à l'époque, les images de Luke et lui ensemble l'ont dégoutées et le doute à titiller sa curiosité jusqu'à ce qu'il navigue sur le porno d'à côté. Il n'a rien ressenti à l'époque, pas la moindre once d'excitation ni l'ombre d'une érection. Alors, il s'est convaincu ne rien ressentir pour son meilleur ami, qu'il conservera ce statut à jamais, satisfait de la relation qu'ils entretenaient.

Tout cela fait tituber son esprit. Il est venu pour des réponses, il se retrouve avec plus d'interrogations. Ses pas le guident jusqu'au lieu de la veille, le motif de sa visite. Il s'assoit par terre, ses yeux perdus dans le vague. Il essaye de faire le tri dans sa tête, poursuivant le flot de ses pensées. Une accalmie suit le gré du courant qui rythme le lac en face de lui. La montagne apaisante le canalise, le rassérène.

Une part de lui s'en veut d'avoir couché avec cet inconnu. La sensation de trahir sa copine lui serre le cœur. Il repense à leur relation. Leur début frivole. Leur première danse, maladroite avec laquelle il a tenté de l'impressionner, se ridiculisant plus qu'autre chose. Leur premier rendez-vous, résultat d'une rencontre fortuite. Elle l'a épaulé quand Luke a disparu, ce suicide, destructeur, bouleversant auquel il ne peut pas croire. Le manque de son meilleur ami l'a changé. Il n'a plus souri, n'est plus sorti, s'occupant en dessinant des croquis morbides dans un bazar de couleurs ternes. Voilà le contexte dans lequel sa relation avec elle a évolué. Il ne saura jamais comment remercier la patience et la compréhension de Rosemary. Il a écouté ses conseils. Il a suivi un psychologue, et dans aucun cas sa parole n'aurait pu être aussi libératrice.

Puis les premières fois sont arrivées. Les premières embrassades au détour d'une balade nocturne, proche du lac, l'ont fait douter sur la nature de ses sentiments. Les premières interrogations ont chamboulé son esprit, encore fragilisé par le décès récent de Luke. Mais les premiers baisers ont, quant à eux, scellé leur union. Proche du Rhône, lors d'une soirée improvisée avant la rentrée scolaire, ils se sont baladés. Ç'a été le premier contact du groupe avec Rosemary qui, timide, lui a confié qu'elle n'osait aborder les autres. Alice s'est tout de suite bien entendue avec elle, se plaignant d'une trop forte représentation masculine autour d'elle. Puis l'alcool l'a aidée à casser son côté réservé. Elle a ri à gorge déployée aux blagues de Victor, s'est immiscée dans les conversations pseudo-philosophiques de Rayenne, et enfin, a osé soutirer un baiser à Rory. Et quand la nuit a tardé, quand le groupe s'est séparé, ne les laissant que les deux seuls, la Lune est devenue spectatrice de leur union, résultat de deux lents mois de vacances durant lesquels le désir profond de s'embrasser et s'embraser des heures durant les ont animés.

Et la suite, il la connait trop bien. Luke est revenu dans sa vie sans demander son avis, et il a décidé de se dédier à lui et à un inconnu, à défaut de se dédier à son couple. Il s'insulte de tous les noms dans sa tête. Le rembobinage de sa soirée l'a mené à ce roux magnifique avec un corps de rêve. Pas qu'il l'attire ou quoi que ce soit, qu'on soit clairs. Réfuter sa beauté revient à mentir. Mais de là à coucher – baiser – avec lui, cela relève de la science-fiction.

Un long soupir passe entre ses lèvres, un râle plaintif le suivant aussitôt. Et comme pour ne pas aider, la Vie, avec son sens de l'humour tordu, impose à Rory la venue de ce roux, source de nombreux questionnements. D'un air naturel, il s'installe à ses côtés, mimant sa posture, ce regard outremer se perdant dans les reliefs des montagnes qui leur faisaient face. Les joues de Rory s'empourprent alors qu'il toise ce torse – cette fois-ci couvert par une chemise. Une question lui vient à l'esprit et il s'apprête à la poser. Seulement, comme s'il lit dans ses pensées, Noé balaye ses incertitudes.

« Facile de te retrouver quand on a ce cahier » déclare-t-il en sortant ledit cahier du sac accroché à ses épaules.

Il reconnait celui de Luke. Dans un premier temps, la surprise façonne son visage. Mais quand il rembobine le fil de la matinée, ses traits se détendent. Une fine brise décoiffe ses cheveux, qu'il brosse avec ses doigts. Le rouge aux joues, il reprend d'un geste timide le cahier. Il l'observe sous toutes ses coutures, l'air pantois. Il échange un bref regard avec le roux qui lui offre un sourire moqueur. Ne sachant quoi répondre, il bredouille un « merci » à peine audible et reprend ses affaires. De là, une gêne s'installe.

Rory se demande ce que ce rouquin fait encore là. Il lui a remis ce qui lui appartient, il peut partir désormais. Mais l'embarras empêche Rory de formuler la moindre phrase. À la place, il laisse le vent s'exprimer, balançant leurs cheveux dans son gré frigorifiant. Une dizaine de minutes passe dans le silence. Minutes qui lui parurent longues, durant lesquelles il n'osait tourner la tête, de peur de croiser ce regard qui l'obsédait.

« J'savais pas que tu connaissais Luke »

Les yeux ronds, il remonte ses lunettes sur son nez. Comment ? Pourquoi ? Cet inconnu ne le serait donc pas ? Comme se rappelant de la raison de sa venue, Rory se tourna vers le rouquin, attentif comme il ne l'a jamais été auparavant. Noé poursuit son explication, un sourire semblant nostalgique aux lèvres :

« Facile de reconnaitre sa patte artistique, ses photos sont reconnaissables entre mille ! »

De sa poche, un papier s'échappe. Noé le prend, le déplie et le montre au brun. Il s'agit d'un des avis de recherches qu'ils ont collés la veille. Daphné a eu raison de les imprimer, pense-t-il alors qu'il plante son regard dans celui chiffonné de son meilleur ami. Rory répond qu'il s'agit de son meilleur ami. Il explique même la situation, se confiant sur la disparition et les motifs qui l'ont mené à Annecy. Comme un point d'ancrage, Luke sert de prétexte à la conversation. Alors, comme une connexion, toute la gêne de la matinée se troque par un sentiment de délivrance. Noé l'écoute avec une grande attention, une myriade d'émotions rythmant son visage, hochant la tête à de multiples reprises. La houle complète sa parole, pareil au vent et au bruissement des branches au-dessus de leur tête. Durant son récit, une question le taraude : comment son meilleur ami connait Noé ? Sa parole rattrape ses pensées, quand il entend la réponse de ce dernier.

« Luke et moi, on est cousins. »

Sa parole eut l'effet d'une onde de choc chez Rory. Électrisé, les muscles de son visage se crispent en une grimace absconse. Il soulève ses lunettes afin d'essuyer ses yeux, comme pour effacer ce mirage. Aucun trait de Noé ne lui rappelle Luke. Sa chevelure vénitienne éclaire la coupe brune de Luke, qu'il dissimule sous une habituelle casquette à l'envers. Ses yeux bleus refroidissent l'ambre piégé dans la prunelle des yeux de son meilleur ami. Peut-être qu'en raffinant sa mâchoire, en arrondissant ses joues, en rasant cette barbe, en raffermissant ses épaules, en amincissant sa poitrine, là peut-être pourrait-il découvrir Luke sous cette couche de peau basané qui dissocie ses probables liens avec le décédé.

Rory penche sa tête sur son épaule, un sourire s'étirant sur ses lèvres. Noé doit le trouver étrange, à force de le dévisager et de le fuir depuis ce matin. Par reflex, un pouffement s'échappe, offrant ce tic de visage qui lui donne, l'espace d'un instant, une certaine candeur. Durant un moment, ils rirent, l'un ne voulant croire ces liens, l'autre les lui assurant, lui parlant d'anecdotes adolescentes qui paraissent hors de cet univers.

Son regard bleuté abandonne Rory pour suivre les vagues du lac. Proche de la rive se baigne une poignée de personnes, la fraicheur du temps et de la saison n'attirant que peu de mondes. Seuls les plus téméraires s'essayent à l'eau froide. À la vue de cette scène, un frisson glacial parcourt son échine. Qui pourrait avoir une idée pareille ?

« Ma mère était du genre à se baigner dans l'eau froide quand j'étais plus jeune » réplique Noé d'un geste rêveur.

À mesure que la discussion avance, il apprend à connaître cette mère folklorique aux cheveux fous et à l'instinct protecteur. Il découvre sa sévérité lorsqu'il lui a confié qu'il s'est battu au lycée, contrastée par un amour inconditionnel lors de sa confidence sur sa transidentité. Cela arrache une surprise. Se battre avec des gens ? Un héritage de sa mère, déclare-t-il dans un sourire enchanteur. Et tout lui parait si simple. C'est un émerveillement infantile qu'il vit, chaque raisonnement trouvant une logique pendue à sa langue. Puis un soir, un inconnu débarqua dans la vie de Noé.

Carnet d'un ami disparuOù les histoires vivent. Découvrez maintenant