Chapitre 9-5

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C'était un mercredi. Au milieu du printemps, il n'était pas commun que la pluie tombe. À Paris, on pouvait oublier cet aspect, et encore plus en banlieue. De toute manière, le temps n'avait aucun réel impact sur ses habitudes. Recherches de travail sur Internet du matin au soir entrecoupées de pauses cigarette durant lesquelles son esprit se perdait dans des vagues souvenirs d'un temps où l'insouciance masquait le malheur. Durant ces moments, elle se demandait ce qui l'avait mené sur les routes banlieusardes d'Argenteuil, ce qui se serait passé si elle s'était cantonnée à éduquer ses enfants plutôt que de poursuivre un homme qui l'avait quittée au bout de trois ans. Mais cela ne servait à rien de se soucier du passé, alors autant aller de l'avant.

Difficile de se faire une perspective d'avenir quand elle dépendait du chômage et de sa sœur pour vivre. Enfin, de l'appartement de sa sœur. Elle, elle vivait dans sa grande maison à la frontière du pays où elle avait fait un bout de sa vie, sans jamais l'inviter par rancune. C'était compréhensible, au départ, mais cette haine perdurait dans le temps alors que de l'eau avait coulé sous les ponts depuis. Mais elle ne lui autorisait aucune rédemption, juste la pitié en la laissant croupir dans ce vieil appartement délabré.

Ses nuits étaient rythmées par le claquement des talons aiguilles du voisin du dessus, les râles de plaisir de la voisine d'à côté, les mélodies qui venaient de l'appartement du dessous, musique brisée d'un chômeur rêvant d'une vie de rappeur. Et elle, elle tentait de trouver le sommeil qui, une fois venu, repartait, interrompu par ces facteurs, si ce n'était pas un coup de feu qui faisait s'agiter tous les habitants de son quartier. Parfois, la police intervenait, huée par quelques protestataires qui leur demandaient de travailler d'une manière correcte.

Voilà à quoi se résumait son quotidien, bousculé de temps à autre par un travail que le Pôle Emploi lui avait dégoté. Elle nourrissait le remord de ses actions, le souvenir des enfants qu'elle avait pris dans ses bras à leur naissance. Alors qu'elle buvait son café, prête à se griller une cigarette, une sonnerie interrompit son geste. Inhabituée, elle posa sa tasse sur la table de son balcon et se dirigea vers la porte. Elle guigna par l'œilleton, un jeune homme aux cheveux bruns lui faisant face. Il paraissait anxieux, hésitant, se dandinant sur ses deux pieds. Peut-être un nouveau voisin ? Quoiqu'il parût un peu jeune, cela ne l'aurait pas surpris de voir un adolescent vivre seul dans une habitation à loyer moyen. Son attention en revanche l'était. Personne ne prenait le temps de se présenter ici.

Et ce nouveau voisin le comprendrait bien vite.

Par une politesse inaccoutumée, elle ouvrit la porte.

« C'est pour quoi ? »

Une minute passa sans qu'elle n'obtienne de réponse. Les yeux du brun la fixaient, ses iris amandes grandes ouvertes, comme choquées de la voir. Pourtant, aucun mot ne sortit de sa bouche. Ce silence perdura pendant une minute durant laquelle l'adulte s'impatienta. Elle s'apprêta à lui demander de partir, retenant sa voix quand elle entendit celle du jeunot. Quand elle entendit son prénom un flot d'émotions la traversa. Tel une pellicule, des images défilèrent devant elle, souvenirs d'une époque lointaine.

La mélancolie s'empara d'elle alors qu'elle prit Luke dans ses bras. Ensuite, des larmes de regret perlèrent au coin de ses yeux sans qu'elle puisse les contrôler. La colère s'étala en une haine envers elle-même, celle d'avoir abandonné cet être cher si longtemps. Enfin, elle s'autorisa à l'allégresse, un fin sourire aux lèvres à la pression de deux mains derrière sa taille.

À la séparation, la maman remarqua la moue de son fils. Il semblait peiné, quand bien même il venait de la retrouver. Peut-être s'attendait-il à une autre personne. Son allure n'avait rien d'enchanteur. Elle portait encore sa tenue de nuit qui se résumait en un t-shirt ample et un short. L'âge aussi avait marqué son visage, pareil aux cigarettes qui avaient jauni ses dents. À force de se nourrir de pates, son ventre avait pris du volume. En bref, elle n'était plus la même personne, celle qui avait porté ses enfants après un accouchement douloureux.

Carnet d'un ami disparuOù les histoires vivent. Découvrez maintenant